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L’ÎLE DE TINE.

sorte de petit séminaire où il faisait instruire les jeunes gens destinés à la prêtrise. — Et en France, me demanda-t-il, d’un ton de tristesse, où en est la religion ? Dans tous les pays que j’ai parcourus, j’ai vu que les Français, reconnus à juste titre pour les hommes les plus aimables de la terre, passaient en même temps pour de véritables païens, ne croyant ni à Dieu ni au diable, et débauchés jusqu’à la folie. — J’essayai, trop inhabile défenseur d’une si sainte cause, de ramener le vieil évêque à une opinion plus juste. Je l’assurai que nous valions infiniment mieux que notre réputation, et que les mœurs, proclamées si légères en France, y étaient peut-être, au contraire, plus sévères qu’en tout autre pays. Je dois avouer que mon discours ne parut aucunement persuader l’évêque de Tine ; il avait à notre égard une opinion toute faite. Au demeurant, il me sembla un excellent homme. Je n’oubliai pas, comme on le pense bien, de lui parler de l’ermite. Un instant j’espérai apprendre de lui le mot de cette étrange destinée. — Il Polonese ! me dit l’évêque, et il me conta ce que je savais de lui ; mais quand je voulus le presser de questions, lui parler du passé de cet homme, lui demander qui se cachait sous cette vague dénomination de il Polonese, le prélat, soit qu’il ne s’en fût jamais inquiété, ce qui n’est guère probable, soit qu’il n’en eût rien appris ou qu’il feignît de n’en rien savoir, me répondit, en soufflant gracieusement un nuage de fumée, que c’était un saint homme et un bon chrétien. Il me fut impossible d’en apprendre plus. Personne n’a su m’instruire à ce sujet, et maintenant encore, chaque fois que ma pensée se reporte au triste couvent de l’île de Tine, elle en revient plus que jamais préoccupée de son hôte mystérieux.

Après avoir quitté l’évêque, notre cicérone nous fit successivement parcourir plusieurs villages ; il paraissait assez flatté d’être notre guide, sa physionomie était pleine de gravité. Les gens que nous rencontrions s’arrêtaient-ils étonnés de voir nos figures étrangères, il se rengorgeait dans sa cravate, se dressait sur son mulet, et les regardait d’un air d’importance sans répondre à leur muette interrogation. Il nous présenta à toutes ses connaissances. Après six visites faites dans le même village, nous entrâmes dans plusieurs maisons isolées. C’étaient celle du docteur, personnage fort considérable, celles des consuls d’Angleterre, de Russie, d’Espagne, etc. Tous ces bonnes gens sont, bien entendu, consuls in partibus sans appointemens, sans fonctions aucunes ; mais ils en ont le titre, et c’est bien quelque chose dans l’île ; c’est bien quelque chose aussi