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L’ÎLE DE TINE.

et c’est pour elle un grand malheur. S’il nous était permis d’aborder une question aussi grave, nous dirions que peut-être c’est à la perte de plusieurs îles, autrefois attenantes à son territoire, de Candie surtout, que l’on doit attribuer l’état d’appauvrissement dans lequel végète ce malheureux pays. Obtenir des Turcs la cession de l’ancienne Crête, à l’époque de l’organisation du gouvernement grec actuel, était peut-être le seul moyen de le rendre viable ; les prêts ne lui donnent pas une condition réelle d’existence, et, chose fort remarquable, la nation désapprouve l’emprunt fait aux trois puissances. « L’état s’est endetté, dit le peuple grec, et quel bien en est-il résulté pour nous ? Comment a-t-on employé les millions empruntés ? Avec une partie de la somme, on a construit un palais inutile ; avec le reste, on le meublera. On a soldé à prix d’or des fonctionnaires allemands qui, une fois enrichis, ont regagné leur pays. Est-il juste que la Grèce se ruine au profit de la Bavière ? Que les compatriotes du roi, venus avec lui à Athènes, y jouissent de nos priviléges, nous le voulons bien ; mais alors qu’ils soient comme nous sujets grecs et non pas des étrangers venant chercher fortune ; qu’ils s’associent aux destinées du pays, qu’ils y achètent des propriétés et nous les donnent à cultiver. Puis, ajoutent naïvement les Grecs, si jamais l’on était obligé de restituer cet emprunt, comment ferait-on ? On prendrait nos maisons, nos bateaux, nos récoltes. » Telle est la défiance qu’inspire un gouvernement qui, n’ayant pas su s’identifier avec la nation, confondre ses intérêts avec les siens, est considéré par les Hellènes non pas comme un pouvoir régénérateur, mais comme une colonie étrangère, à charge au pays et imposée par les circonstances.

Les habitans de la plupart des îles grecques, ne pouvant être agriculteurs sur leurs rochers stériles, où la terre manque, où la culture est impossible, se font presque tous marins et cherchent leur vie dans le négoce. Leur pays ne fournissant pas les élémens d’échange nécessaires, ils sont forcés de s’expatrier ; grace à leur excessive sobriété, ils trouvent à vivre misérablement dans les ports de l’Adriatique, sur la côte d’Italie, à Marseille, en Espagne même, et surtout en essayant de lutter contre l’envahissement du commerce autrichien dans la mer Noire. Cette désertion est ruineuse pour le pays. Il en serait tout autrement si l’on rattachait Candie au royaume grec. La situation de cette île, rempart naturel du Péloponèse du côté du sud, son excellent port de la Suda, sa position intermédiaire entre l’Afri-