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Comment reconnaître, dans ces armées qui n’osent pas même attendre l’ennemi, les fameux défenseurs de Candie et les hardis marins qui tant de fois avaient détruit les flottes ottomanes ! La reddition de la forteresse de Tine par Bernardo Balbi est la dernière page de l’histoire des débris que nous avions sous les yeux.

Notre cicérone nous assura que, par un temps clair, la vue était admirable de cet endroit, et embrassait presque tout l’archipel ; mais, comme pour le moment la vue s’étendait à peine à deux pas, et que le froid devenait de plus en plus piquant, je fus d’avis de rebrousser chemin. Pour retrouver sa route, notre homme cherchait à terre la trace de nos pas, et, malgré la facilité que lui donnait pour cette opération son dos courbé en faucille, il nous égara. En notre qualité de montagnards, nous nous crûmes obligés de guider notre guide ; il nous suivit à regret ; pourtant nous nous retrouvâmes bientôt dans le hameau abandonné.

Alors seulement le parent de M. Spadaro nous apprit que dans ces ruines vivait un vieil ermite. Curieux de voir un homme qui n’était pas épouvanté d’une pareille solitude, nous priâmes notre cicérone de nous conduire vers sa retraite. Il nous mena devant un long bâtiment ayant l’aspect d’un couvent, et délabré comme toutes les maisons du village. Le toit tombait en ruines ; l’herbe croissait sur le seuil ; rien n’annonçait le passage d’un être humain. Un mauvais contrevent pendait à demi détaché à l’une des ouvertures ; le vent le faisait battre par momens, et il criait en tournant sur ses gonds. Nous frappâmes ; personne ne répondit. Notre guide ouvrit une porte voisine, nous fit entrer dans une chapelle pauvre, mais propre et tenue, dans sa misère, avec un soin remarquable. Il frappa à une porte latérale ; cette fois presque aussitôt un bruit de pas se fit entendre, et une voix demanda en grec qui nous étions. Le cicérone se nomma, et la porte s’ouvrit. Nous vîmes un vieillard vert encore, qui, sur quelques mots de recommandation prononcés à voix basse, nous salua fort gracieusement et nous pria d’entrer. Après nous avoir fait suivre un long corridor, l’ermite, qui parlait italien, nous introduisit dans sa cellule. Elle était des plus pauvres ; le mobilier consistait en une méchante table et deux bancs de bois chancelans, sur lesquels nous nous assîmes. Tout en expliquant au solitaire le motif innocent de notre visite, je le regardais avec curiosité. C’était un homme d’une soixantaine d’années ; son visage était beau et distingué, il ne portait pas de barbe. Son front large, à peine garni de quelques cheveux blancs, était jaune et poli comme