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et les ais d’olivier sculptés eussent fait l’admiration d’un antiquaire moins fatigué. Je n’accordai ce soir-là à ces curieux ornemens que fort peu d’attention ; mais, plus tard, voyageant encore dans l’Archipel, j’eus lieu plus d’une fois de me désespérer à la vue de plusieurs meubles de la même époque, condamnés par leur poids à rester éternellement en Grèce, et dont les exquises ciselures étaient des chefs-d’œuvre ignorés d’artistes inconnus. À tous les voyageurs qui iront à Pathmos, je recommande surtout un bahut et un dressoir oubliés dans un grenier du couvent de Saint-Jean. En fait d’orfèvrerie sur bois, je n’ai jamais rien vu d’aussi merveilleusement fouillé, d’aussi délicatement fini. D’où viennent ces meubles ? Je ne sais. À Paris, ils feraient la gloire du cabinet de l’amateur le plus scrupuleux ; en Grèce, ils sont employés à conserver des oignons.

Un gai rayon de soleil qui tombait droit sur mes yeux me réveilla le lendemain. Je regardai autour de moi avec surprise. Où étais-je ? Comme il arrive souvent après un repos profond, j’avais complètement perdu le sentiment du lieu où je me trouvais ; les souvenirs de la veille me revinrent graduellement. Je me levai avec empressement, ayant hâte de revoir au grand jour nos nouveaux amis. Comme je m’habillais, on entr’ouvrit doucement la porte ; c’était la signora Spadaro ; elle guettait notre réveil pour préparer le café, qu’elle nous apporta immédiatement. La jeune famille était fraîche et gracieuse plus encore que la veille. Maria, avec ses yeux limpides, avait un teint de rose blanche. Ses longues tresses et le châle rouge qui avait mérité nos complimens entouraient toujours sa tête. La bonne mère s’était parée d’une veste gris perle ourlée d’une petite broderie d’or. Le signor Spadaro lui-même avait endossé une belle redingote bleue et un gilet jaune qui sans doute n’avait jamais vu que le soleil des dimanches. Il vint nous serrer la main, et chacun s’empressa de nous demander de nos nouvelles. La veille, nous avions manifesté le désir de visiter l’île ; tout était préparé pour notre excursion : trois mulets nous attendaient. S’excusant de ce que son grand âge et ses rhumatismes l’empêchaient de nous accompagner, notre hôte nous présenta un de ses parens qui, plus jeune, quoique déjà voûté se chargea de nous conduire ; des tapis furent placés sur les bâts de nos montures, nous nous installâmes par-dessus le tout, et promîmes en partant d’être de retour pour le dîner.

Sept heures sonnaient à la pendule de bois de notre hôte, lorsque nous nous mîmes en marche, suivis d’un domestique qui courait prestement à pied, malgré l’ampleur démesurée de son pantalon de