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L’ÎLE DE TINE.

de ce ciel de Grèce, si clair, si calme pendant les belles nuits, si lumineux, si brodé de diamans, et qui n’a son pareil en aucun pays. Les beaux yeux de la jeune Grecque, peut-être aussi le vin de Samos, avaient mis mon imagination en éveil ; je ne pus m’empêcher de tressaillir lorsque sur le seuil, devant le fond éclatant du ciel, je vis reparaître les deux sœurs, joyeuses, montrant leurs dents blanches et portant chacune un gros bouquet d’œillets rouges. Elles arrivèrent à nous et nous les offrirent. Il y avait dans tous leurs mouvemens une grace, une gentillesse, une naïveté charmantes. Mais Maria surtout attirait mes regards. Sur son beau visage, si pur, dans ses longs yeux adorables d’innocence, on lisait je ne sais quelle suave poésie. Je songeais en la regardant à ces femmes au front d’ange qu’évoque un cœur de seize ans et qui viennent se pencher sur nos premiers rêves. Ah ! jeunes filles, me disais-je tout bas, vous êtes vous-mêmes des fleurs plus fraîches que celles que vos mains cultivent. Toute idée de galanterie et de remerciement banal était loin de moi ; détachant une fleur du bouquet, je dis à Maria que celle-là serait rapportée en France et conservée dans ma famille en souvenir d’elle et de son île, où l’on nous recevait si bien. Maria traduisit aussitôt à ses parens ce que je venais de lui dire.

Cependant la nuit s’avançait, je m’aperçus que quelque chose contrariait nos hôtes ; ils avaient ensemble des conférences à voix basse. Les jeunes filles regardaient leur mère, Mme Spadaro interrogeait son mari. Croyant devoir intervenir dans cette discussion inintelligible pour moi, mais dont je devinai que nous étions le sujet, je leur déclarai que nous ne les voulions gêner en rien, et que la pensée de leur causer le moindre embarras troublerait le plaisir que nous aurions à rester parmi eux. Si c’était des lits qui leur manquaient, qu’ils ne s’en inquiétassent pas : nous étions des voyageurs endurcis, habitués à fort bien dormir sur le plancher. Alors M. Spadaro m’avoua qu’en effet leur embarras était grand : ils étaient forcés de nous faire coucher tous les deux dans la même chambre ; il nous en demandait mille fois pardon.

Che volete, nous disait-il, che volete, carissimi signori, il cuor è grande, ma la casa è piccola e tengo molta famiglia.

On nous conduisit dans notre appartement, c’était celui des maîtres de la maison. Les jeunes filles allumèrent deux lampes, nous demandèrent si rien ne nous manquait, et toute la famille nous salua en nous souhaitant une bonne nuit. Je me trouvai en possession du lit nuptial de Mme Spadaro, grand lit gothique dont les colonnes torses