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REVUE DES DEUX MONDES.

À UN FRANÇAIS.

« Toi qui, venu des bords rians de la Seine aux froides rives de la Vistule, songes parmi nous à ta belle patrie ; toi que les regards d’un père, d’une mère, d’une sœur, suivent sur une terre étrangère, ton ame n’est-elle pas restée tout entière aux lieux où la rappellent tant de doux souvenirs ?

« Ami, et moi aussi j’ai souvent soupiré en songeant de loin à ma patrie. Lorsque, banni des lieux où je suis né, j’errais dans un autre royaume, mes larmes étaient mon unique consolation.

« Bientôt tu reverras le toit paternel, la joie rentrera dans ton cœur. Mes larmes, à moi, dureront toujours ; elles dureront autant que le serment que j’ai proféré sur la tombe de ma mère.

« Te souviens-tu de cette nuit sombre où des voyageurs fatigués s’en allèrent frapper à ta porte ? Ils n’avaient ni pain, ni sel, ni lieu où reposer leur tête : c’étaient des Polonais. Ils sont restés dans l’exil ; j’en suis revenu. Ils regrettent leur patrie ; moi, je pleure sur ses ruines.

« Oh ! ne t’étonne pas si nous te serrons la main avec émotion ; tu as habité avec nos frères, avec ceux qui ne vivent plus que d’espérance. Ne t’étonne pas si on te parle en pleurant d’un frère, d’un amant, d’un fils, si un enfant te demande en bégayant des nouvelles de son frère.

« Ne t’étonne pas du froid qui te pénètre dans cette Pologne, dont une main funeste voile le doux soleil ; comment garderait-il sa chaleur, le cadavre dont on a arraché le cœur ? »


Je ne puis donner une idée plus juste de l’état actuel de la littérature polonaise qu’en citant une lettre qu’un écrivain très instruit a bien voulu m’adresser à ce sujet :


« Malgré la triste situation de notre pays, il y a maintenant parmi nous un mouvement littéraire très animé ; on dirait que les Polonais n’ont plus d’autre consolation dans le malheur que d’étudier les lettres, de se dévouer au développement de leur langue, bannie de plus en plus des écoles publiques, du service administratif, et remplacée de tous côtés par la langue russe.

« Au dehors, ce mouvement se manifeste plutôt par des travaux historiques que par la poésie, car, avec son esprit national, patriotique, ému par tant d’évènemens douloureux, la poésie ne fait qu’effrayer la censure, et ne peut produire au grand jour ses généreuses inspirations. Ceux qui s’y dévouent avec la pensée la plus noble et le talent le plus vrai sont forcés de dérober aux regards de l’inquisition qui les poursuit le secret de leurs rêves et l’harmonie de leurs vers. Il faut que les poètes apportent une grande réserve dans le choix de leurs sujets et une grande modération dans les idées qu’ils expriment pour qu’il leur soit permis de publier leurs productions. Parmi ceux dont on recherche les vers, nous citerons M. Paszkowski, qui a traduit le Faust de Goethe et fait imprimer un volume où l’on remarque