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pas seulement tenté : en vain promettait-on de lui laisser la liberté la plus ample ; le voisinage d’une cour ne lui allait pas ; il se défiait de cette liberté qui ne devait, disait-on, recevoir aucune limite, pourvu qu’elle se mît d’accord avec la religion et avec l’état.

La première publication de Spinoza est une exposition sous forme géométrique de la philosophie de Descartes. Cet ouvrage, dicté en partie à un jeune homme dont il dirigeait l’éducation philosophique parut avec une préface de Louis Meyer, l’un des plus chers amis de l’auteur, qui prit le soin d’avertir expressément que Spinoza expose dans ce livre les opinions de Descartes et non les siennes. Le Traité théologico-politique parut ensuite avec une fausse indication d’imprimeur, et circula clandestinement sous divers faux titres, destinés à donner le change à l’autorité, sous celui-ci, par exemple : Œuvres chirurgicales de Fr. Henriquez de Villacorta. Cet ouvrage de Spinoza était, jusqu’à M. Saisset, le seul qu’on eût traduit dans notre langue. L’auteur de cette traduction informe, M. de Saint-Glain, la fit répandre aussi sous diverses dénominations, telles que la Clé du sanctuaire, ou des cérémonies superstitieuses des Juifs tant anciens que modernes, ou encore Réflexions curieuses d’un esprit désintéressé sur les matières les plus importantes au salut tant public que particulier.

Le but du Théologico-politique est de séparer la philosophie et la religion, et de montrer quels doivent être leurs rapports entre elles et avec l’état. Spinoza ne pense pas, comme la plupart des cartésiens, que tout le rôle de la philosophie est d’établir sur l’autorité de la raison les mêmes doctrines que la religion impose au nom de la tradition et des prophéties. La religion n’est à ses yeux qu’une règle pratique, et tout son rôle en ce monde est de pacifier les ames et de gouverner les mœurs. Il prend l’Écriture elle-même, et les livres sacrés à la main il discute chaque prophétie, chaque miracle, pour faire voir qu’il ne s’agit nulle part de science, mais partout et toujours de morale. Suivant lui, c’est se moquer que de prendre l’Écriture pour un corps de doctrines bien ordonné ; entendue en ce sens, elle n’offre que contradictions et disparates. L’Écriture n’est qu’une œuvre collective, œuvre d’ailleurs purement humaine, et s’il y a en elle quelque chose de divin, c’est que partout elle respire l’amour de Dieu et tend à nous élever vers lui. Spinoza tire deux conclusions de ces principes : la première, que l’état doit dominer et administrer les choses religieuses ; la seconde, que la philosophie qui s’applique à des réformes pratiques doit être également soumise à l’état, quoique