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à tort que sa versification formait un contraste avec celle que l’école actuelle a établie sur la scène. Il n’en est rien. M. Ponsard profite au contraire, et même très habilement, de toutes les libertés restituées à l’alexandrin par André Chénier, et transportées plus tard, avec tant de peine, dans le drame par MM. Alfred de Vigny et Victor Hugo. L’enjambement et la césure mobile sont très fréquens dans Lucrèce et y produisent le plus ordinairement de très heureux effets. Je cite au hasard :

.......... Ô calme que j’ai fui,
Qui donc vous a fermé mon cœur ? n’est-ce pas lui ?
Tu peux retraverser tes mers, ô Pythonisse !
Je l’ai reçu. C’était un hôte. Ô malheureuse !
Je m’éveille ; il avait une épée, et me dit.

Et ces vers, les derniers que prononce Lucrèce :

Vous verrez à punir Sextus, et je l’approuve.
Moi, j’ai dit n’avoir pas craint la mort ; je le prouve.

Veut-on d’heureux exemples d’enjambemens ?

— Je n’aperçus plus rien alors… Mon assassin
Avait fui, me laissant un poignard dans le sein.
Quand il sera besoin, à tes destns prospères
J’offrirai tout le sang que je tiens de mes pères :
J’offre ma patience en attendant. Reçois
Cette libation des affronts que je bois.

Et ce beau dialogue :

Je serai roi, vous dis-je, et vous, Lucrèce, vous

Reine.
LUCRÈCE.
Reine.Je serai, moi, fidèle à mon époux.

Quelquefois M. Ponsard va jusqu’à séparer par un vers l’adjectif de son substantif. C’est peut-être la coupe contre laquelle on s’est le plus récrié :

..........Ô puissant
Jupiter !

Comme mécanisme de versification, je n’ai, pour ma part, que des éloges à donner à Lucrèce ; mais, je dois le redire, sous ce rapport, l’auteur de la tragédie nouvelle n’a rien innové, rien modifié même. L’honneur d’avoir rétabli dans la langue ce vers perdu depuis