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thécaire, sur les monumens de la ville. Certes c’était là une excellente préparation pour M. Ponsard que cette vie laborieuse et retirée dans une tranquille province, au sein d’une petite colonie lettrée, tout occupée de vers et d’archéologie. Cependant, sauf un certain parfum général d’antiquité, nous ne trouvons dans Lucrèce qu’un bien faible sentiment historique. D’abord l’idée de faire revivre la société et la famille antiques, comme Walter Scott a fait revivre le moyen-âge, cette idée n’appartient pas à M. Ponsard ; elle n’appartient même pas, autant qu’on l’a dit, à notre siècle. Racine dans Britannicus se montre aussi grand peintre que grand poète, et Corneille dans les Horaces, sans aucune prétention archéologique, et par le seul accent de son mâle langage, nous transporte dans une Rome qui, bien qu’on en ait dit, n’est pas du tout castillane. M. Alexandre Dumas a tenté, il y a quelques années, la résurrection de la Rome impériale dans le drame de Caligula. Voilà pour la priorité. Quant à la justesse de l’exécution, elle est dans Lucrèce presque toujours fort imparfaite. L’auteur nous transporte, il est vrai, dans une atmosphère latine, mais ce n’est presque jamais dans celle des premiers siècles de Rome. Les mœurs qu’il peint, les arts qu’il suppose, les voluptés qu’il décrit, se rapportent à une civilisation de trois ou quatre cents ans plus récente. En voyant cette esclave venue d’Ionie qui charme les veillées de la femme de Collatin, on se croirait au temps des Métellus et des Sylla. Lisez les vers suivans, et dites si cette poésie n’est pas l’écho de Catulle, d’Ovide et de Properce, plutôt qu’une conversation antérieure de trois siècles à Ennius :

SEXTUS.

Sans doute il convient mieux…
De savoir discerner le plus fort à la lutte,
Le danseur le plus souple, et la meilleure flûte,
D’être la plus adroite au jeu de l’osselet,
De se blanchir le teint par l’usage du lait,
Afin d’entendre dire à la foule empressée
Qu’auprès l’ivoire est pâle et la neige effacée,
De sourire à propos à tout ce qui se dit,
Le corps demi-couché sur les coussins d’un lit,
Appelant le zéphir par les plumes mouvantes
Qu’autour de leur maîtresse agitent les servantes,
Et les cheveux livrés aux porteuses de fleurs,
Instruites dans le soin d’assortir les couleurs ;