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Nous ne voulons pas épiloguer sur les détails ni rechercher à quel point le repos est un régime bienfaisant pour la littérature. La seule chose que nous voulions induire de ce passage, c’est que la recherche d’un juste milieu poétique est depuis long-temps la préoccupation et le rêve de M. Ponsard. Faut-il attribuer à la mise en œuvre de cette théorie l’étonnante fortune de Lucrèce ? En partie sans doute. Néanmoins, bien avant que cette idée illuminât M. Ponsard, beaucoup de tentatives avaient été faites dans cette voie et exécutées avec plus ou moins d’habileté par plusieurs poètes contemporains, notamment par Népomucène Lemercier, et plus récemment par MM. Soumet, Lebrun, Ancelot et Casimir Delavigne. La critique de l’époque se montra peu favorable à l’introduction de ce genre composite. On nous pardonnera de rappeler sommairement ici les principales objections que nous opposâmes alors dans le Globe à ces essais de conciliation poétique : « Ce qu’on nomme éclectisme en philosophie, disions-nous à peu près, est une méthode large et de bon sens, qui, dans tous les systèmes, cherche le vrai et le met en saillie. L’éclectisme en critique est cette heureuse impartialité qui goûte le beau sous toutes les formes ; c’est ce cosmopolitisme d’intelligence qui admire à la fois Aristophane et Molière, Sophocle et Shakspeare, Homère et l’Arioste, Richardson et Rabelais, Michel-Ange et Callot ; c’est cette souplesse d’imagination qui se plaît à la lecture d’un roman chinois, d’une ballade allemande, d’une satire romaine ou d’un conte arabe. Chercher le beau, soit pour en jouir, soit pour mesurer le mérite en ce genre de chaque contrée, de chaque siècle, de chaque artiste, tel est l’éclectisme de la critique, ou plutôt, en ce sens, l’éclectisme est la critique même. Mais ce procédé, si favorable à la découverte du vrai et à la jouissance du beau, doit-il être recommandé comme méthode de création ? Emprunter partie d’un système et partie d’un autre, marier, par exemple, la grace parée de Racine à l’énergique nudité de Dante, tempérer les turbulentes et fantastiques bouffonneries d’Aristophane par la gaieté mélancolique de Molière, purifier la licence de Dancourt et de Collé par la chasteté de Térence, serait-ce une entreprise sensée et désirable ? L’éclectisme dans l’art, en aspirant à la fusion d’élémens hétérogènes, risque de n’opérer qu’une soudure imparfaite entre des qualités qui s’excluent ou se neutralisent. L’originalité implique l’unité. Toutes les grandes époques de création, tous les grands monumens de l’art nous l’attestent. C’est de l’homogénéité des œuvres que naît leur poésie et leur grandeur. Le Parthénon et l’Alhambra, les pyramides et la colonne