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POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

fois, comme on voit, les deux amis se sont rencontrés sur le même terrain, mais à coup sûr l’individualité de leur talent n’a rien perdu à ce contact. Moore a pu s’abîmer dans la contemplation de ce génie splendide, sans jamais, même involontairement, lui emprunter un seul rayon.

On a beaucoup parlé de Moore à propos de la prétendue suppression d’une partie des mémoires de lord Byron, et il s’est élevé dans la presse de presque tous les pays une polémique violente à cet égard. Les gens du monde, désœuvrés, amateurs de scandale, criaient comme des vautours auxquels on enlèverait leur proie légitime, tandis que les puritains applaudissaient à tour de bras à ce qu’il leur plaisait de désigner sous le nom de concession à la morale publique. Cependant en face des pièces du procès, et lorsqu’on lit les mémoires même, on se demande de quoi les uns se plaignent et quel motif ont les autres d’être si contens. En vérité, il est difficile de concevoir ce que le scandale pouvait désirer de plus ou ce que la morale pouvait obtenir de moins, et, dans cette circonstance comme dans beaucoup d’autres, le public, qui a perdu son temps à s’en préoccuper, me paraît avoir été la seule dupe. Lord Byron donna ses mémoires à Moore pendant le voyage que fit celui-ci en Italie en 1819, et, en parlant plus tard de ce dépôt, il assura que, sans exprimer aucun désir que le manuscrit fût tenu secret, il avait demandé seulement qu’on ne le laisse imprimer qu’après sa mort. « Les mémoires ont été lus par plusieurs amis de Moore, ajoute le noble poète, et notamment par lady Burghersh, qui les transcrivit d’un bout à l’autre. » On raconte que plus tard cette copie fut brûlée par l’aimable lady elle-même, et depuis lors M. Kinnaird ne cessa de tourmenter Byron afin qu’il reprît possession de son manuscrit, ce à quoi l’illustre auteur de Childe-Harold se refusa constamment. « Cela m’est bien égal, écrit-il à l’un de ses amis, que le monde sache ce que contient ce livre. Il y a fort peu d’aventures licencieuses qui se rapportent à moi, ou d’aventures scandaleuses qui concernent les autres. C’est commencé dans l’enfance, c’est fort incohérent, et écrit dans un style très négligé et très familier. La seconde partie pourra servir de bonne leçon aux jeunes gens, car elle parle de la vie irrégulière que je menais dans un temps, et des conséquences fatales de la débauche. Il y a bien peu d’endroits que ne doivent pas lire les femmes, aucun qu’elles ne liront pas. » Ce jugement de l’auteur lui-même sur son manuscrit est-il bien différent de celui que porterait tout esprit libéral sur les