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POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

Auteur de poésies dont le seul nom fait rougir les matrones de la Grande-Bretagne, il se distingue par son respect pour la vertu féminine. Ses vers, même les plus libres, ne sont jamais qu’un jeu d’esprit et n’attaquent en aucune façon l’honnêteté des principes ; bien au contraire, le barde d’Erin met à célébrer la vertu, la pudeur, surtout chez les femmes, une verve que peu de sujets lui inspirent au même degré. Il y revient, il s’y étend avec complaisance, c’est un sujet qu’il aime à parer de toute la grace de son talent. Après cela, je n’entends point m’aventurer trop loin ; il se pourrait qu’il n’y eût à voir là-dedans qu’une recherche de plus, qu’un raffinement exquis. La nature poétique de Moore lutte sans cesse contre les préjugés et les notions étroites léguées par l’éducation première. C’est un membre de la société de tempérance qui s’enivre, un don Juan qui va à la messe, un rebelle qui respecte la loi. Il n’éprouve aucune sympathie pour les grands esprits que le génie égare, il ne trouve aucune excuse à leurs erreurs, et les condamne sans tenir compte de leurs tentations ou de leurs souffrances. Moore visite les Charmettes, où tout, hormis le lieu même, lui inspire une horreur profonde ; il s’indigne de l’espèce de vénération avec laquelle la plupart des voyageurs s’approchent de la demeure de Jean-Jacques, et je doute même que la petite pervenche bleue trouvât grace devant lui : « C’est trop absurde, s’écrie-t-il, c’est honte et faiblesse que cette adoration de la renommée, que ce sacrifice de tout ce qui est pur et décent dans la vie sur l’autel de la première idole venue. Non ! que le génie obtienne tout ce qu’il peut rêver dans sa plus folle ambition, qu’il soit adoré pour ses attributs les plus nobles, les plus dignes ; mais loin de lui ce culte abject qui sanctifie ses qualités les plus basses et les plus viles ! » Moore va plus loin ; il déclare ne pouvoir jouir à son aise de tout ce qui l’entoure, obsédé qu’il est « par le souvenir des liens grossiers » qui profanaient autrefois cette délicieuse retraite. Il termine ensuite cette page que je tire des Rimes sur la route, en disant qu’il préférerait être « un de ces misérables pâtres errans à l’entour avec tout juste assez d’esprit pour reconnaître le soleil au firmament, plutôt que de posséder un génie malfaisant et maudit, dépourvu de cœur, et d’être à la fois tout ce qu’il y a de plus brillant et de plus pauvre, de plus sublime et de plus vil dans la création. » Comparez cette sortie pleine d’une moralité conventionnelle et de puritaines préventions avec les pages si lumineuses, si belles d’indulgence, que Byron, dans le troisième chant de Childe-Harold, a consacrées à Rousseau. Les deux manières d’envisager le caractère