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POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

Non-seulement les opinions politiques de Moore ne pouvaient trouver d’écho dans le monde anglais, mais encore ses tendances religieuses n’avaient rien qui fût en harmonie avec le protestantisme sévère et guindé de Londres. Le poète de Lalla Rookh a beau être membre de l’église réformée, « époux d’une femme protestante et père de deux ou trois petits enfans protestans, » ainsi qu’il le dit lui-même dans la préface du Two penny post bag : il n’en est pas moins vrai que la nature même de son talent est incontestablement, essentiellement catholique. L’exaltation de ses idées, l’ardeur de ses convictions, cette présence constante du cœur dans l’imagination que signalait Sheridan, tout cela l’entraînait par le fait, et malgré lui, loin de ce dogme prosaïque qui s’oppose à tout enthousiasme, et étouffe dans son premier germe tout sentiment de poésie ou d’art. Le patriotisme aussi venait s’allier à ces tendances involontaires, et c’était presque le devoir de tout Irlandais aimant sa patrie de défendre cette religion proscrite comme elle, et dont, jusqu’au commencement du siècle actuel, on ne célébrait les divins mystères que dans l’ombre et le silence. Le dévouement passionné, l’amour à toute épreuve, des Irlandais pour leur culte, ont plus d’une fois inspiré les chants de Thomas Moore. Je ne sache pas qu’il ait jamais traité avec plus de bonheur ce sujet si important pour l’histoire morale de son pays que dans l’allégorie touchante intitulée : Le Paysan irlandais à sa maîtresse. Il conviendrait peut-être de traduire le mot peasant par le mot serf, et au lieu de voir dans celui qui adresse les vers suivans à la religion catholique la personnification d’une certaine classe du peuple, il faudrait y voir le pays entier, esclave et serf de l’Angleterre.

« À travers peines et dangers, ton sourire a égayé mon chemin, au point que l’espérance semblait fleurir sur chaque épine de ma route. Plus notre fortune devenait sombre, plus notre amour brillait d’un pur éclat, et la honte se fit gloire, et la peur se convertit en zèle. Oh ! tout esclave que j’étais, dans tes bras, mon ame se sentait libre, et bénissait les chagrins qui te la rendaient plus chère.

« On honorait ta rivale, et l’on te couvrait de mépris ; ta couronne était d’épines, tandis que l’or ceignait son front ; elle m’invitait dans des temples et toi, tu te cachais dans des antres ; ses amis sont tous des grands, les tiens, hélas ! ne sont qu’esclaves ; mais, sous la terre froide, j’aimerais mieux m’étendre à tes pieds qu’épouser celle que je n’aime pas, ou détourner de toi une seule pensée.

« Ils te calomnient cruellement, ceux qui disent que tes sermens sont fragiles. Si tu étais perfide, ta joue serait moins pâle. Ils disent aussi que depuis