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seule échappée de lumière découvre dans cette nuit profonde, et voyez alors ce qui se passera en lui !… »

Je ne sais trop si Moore a pu nourrir quelque peu de cet espoir qu’il invoque ici, ou s’il lui a semblé découvrir à l’horizon un rayon de lumière si pâle qu’elle fût ; mais il commença dès 1807, conjointement avec sir John Stevenson, la publication des Mélodies irlandaises. Il faut se rappeler la position de l’Irlande à cette époque pour bien comprendre l’intérêt qu’excitèrent dès leur apparition ces chants nationaux. Dix ans ne s’étaient point écoulés depuis l’insurrection de 1798 ; quatre années n’avaient pas suffi pour faire oublier la mort de lord Kilwarden et l’exécution de Robert Emmett. L’union s’était accomplie, et tandis que Grattan, devenu membre du parlement anglais, réveillait les échos de Saint-Stephens, John Philpot Curran, le plus fougueux des Irlandais, faisait retentir de ses éloquentes plaidoiries les murs du Rolls Court de Dublin. C’est autour de Curran, resté Irlandais et demeurant en Irlande, que se groupait tout ce que la malheureuse Erin possédait de patriotes et d’hommes de génie. C’est à Raffarnham, maison de campagne située à trois ou quatre milles de Dublin, que l’illustre master of the Rolls attirait ses amis. Artistes, poètes, hommes politiques, tout ce qui aimait l’Irlande ou cultivait les arts venait là s’inspirer de l’ardente éloquence de Curran, et de l’enthousiasme non moins véhément de ses deux filles, Amélie et Sarah. Du sein de cette délicieuse et sauvage retraite, la muse de Moore prit son premier élan patriotique, et dans plus d’un de ses premiers essais on reconnaît l’habitué du cottage de Raffarnham, l’enfant de vingt ans qui s’était laissé entraîner par la parole éclatante du hardi tribun, et qui s’enivrait aux sons divins de la voix de Sarah Curran. Cette noble jeune fille joue en quelque sorte en Irlande le rôle de Flora Macdonald en Écosse, et la courageuse amie de l’infortuné Charles-Édouard ne s’associe guère plus intimement au roman historique de son pays que ne le fait la chanteuse inspirée de Raffarnham. Il y a je ne sais quoi de vague et de triste dans la figure si poétique de Sarah Curran, qui ressemble à l’incarnation d’une idée abstraite ; à la voir pâle et mélancolique, penchée sur sa harpe et chantant de sa voix merveilleuse quelque chant national, on dirait le génie d’Erin appuyé sur sa lyre. Parmi les jeunes patriotes qui entouraient son père, Sarah de bonne heure en choisit un, le plus beau de tous, et l’Irlande entière salua en elle