Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/720

Cette page a été validée par deux contributeurs.
714
REVUE DES DEUX MONDES.

dit dans sa préface, a voulu faire une allégorie, chose qui, pour être ennuyeuse, n’en est pas moins difficile, et il est tombé dans un défaut presque inévitable à toute composition de ce genre. Il est devenu précieux comme un habitué de l’hôtel de Rambouillet. Rien de moins original surtout que le fond de ces trois récits angéliques, dont le premier devient tout au plus amusant par la spirituelle vengeance que tire à la fin l’Éternel d’un « esprit léger trop enclin à recevoir les empreintes de la terre. » Le second, raconté par Rubi, chérubin dont la science et l’orgueil fourniraient de nouveaux argumens à Tertullien lui-même, a le tort de se trop rapprocher de cette délicieuse fable de Jupiter et de Sémélé, que l’on ferait mieux de laisser tout entière à la mythologie païenne. Non content de ressembler à Jupiter, le doctoral Rubi affecte en même temps je ne sais quel faux air de Saint-Preux ; et sous le bandeau lumineux qui ceint les tempes du dieu, on aperçoit quelque chose comme la perruque poudrée du maître d’école amoureux de la nouvelle Héloïse. Que dire de Zaraph et Nama, le dernier épisode du poème, sinon qu’il n’était pas besoin d’aller chercher dans la sphère des anges d’aussi bourgeoises amours, et que, pour finir à la manière des plus innocens contes de fées, ce n’était pas la peine de remuer toute la légende hébraïque ? Nous savons quelle admiration excentrique a suscitée chez les traducteurs des poésies de Moore cette œuvre d’un si mince mérite. Là où il n’y avait que des mots, ils ont voulu voir des idées, et ils ont pris pour de la richesse d’imagination ce qui n’était que les écarts froidement fantasques d’un esprit mal à l’aise dans les limites de son sujet. Du reste, si aujourd’hui nous nous occupons d’un poète que tout le monde croit parfaitement connu, la faute en est à ceux qui se sont chargés de le faire connaître. Il nous a semblé impossible d’accepter comme définitives les singulières traductions qu’on nous a données des ouvrages de Moore, et encore moins les commentaires destinés à les expliquer. Une traduction sérieuse et intelligente du poète anglais reste encore à faire, et par traduction sérieuse je n’entends point ce que l’on appelle vulgairement traduction complète. Loin de vouloir qu’on trouve dans la langue française l’équivalent de chaque ligne bonne ou mauvaise qu’ait écrite Moore, je désirerais que l’on s’appliquât surtout à interpréter ce qu’il y a de grand, de fort et d’admirable dans le barde d’Erin, ce qui enfin constitue son originalité. Lorsqu’un écrivain, lorsqu’un poète est réellement supérieur, ce qu’il y a de complet dans ses œuvres, c’est ce qu’il y a de beau. Tout le reste ne sert, au