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La conception pure est une forme, elle aussi, qui, pour ne point se manifester, n’en existe pas moins dans le monde invisible des idées. Cette dualité se retrouve partout, et c’est du complet accord, je dirais volontiers de l’identité absolue de la forme subjective (espèce de cadre que pose l’intelligence, et que remplit le travail) avec la forme objective, que résulte la perfection d’une œuvre littéraire. Or, c’est de cette harmonie même que l’on sent l’absence dans le poème dont nous parlons. Les proportions du contenant ne répondent pas à celles du contenu, et tout en admirant le travail fini, la ciselure exquise de certains détails isolés, l’œil expérimenté découvre à chaque instant, entre le tableau et le cadre qui l’entoure, des vides qui détruisent tout l’effet de l’ensemble. On croit sentir, en lisant le Prophète voilé, que l’auteur a voulu faire autre chose que ce qu’il a fait, et cela s’explique par le choix du sujet qui, du reste, ne manque pas de ressemblance avec le Mahomet de Voltaire. Le fanatisme religieux est une passion qui se laisse plus facilement combattre en prose qu’en vers, et jusqu’ici je ne connais guère d’œuvre poétique dans laquelle la raison remporte la victoire sur l’enthousiasme, sans qu’en même temps la poésie ait à souffrir une rude défaite. Dans ce premier récit de Feramorz, toute l’imagination du poète, toute son ardeur, se concentrent sur des descriptions brillantes d’objets inanimés, tandis que les principaux sujets du drame se trouvent relégués dans une espèce de demi-jour.

La corde patriotique de Moore commence à vibrer sourdement dès le second chant de Feramorz. On sent déjà que l’auteur respire plus à son aise, lorsqu’il fait dire à sa péri que, « s’il y a un don cher au ciel par-dessus tous les autres, ce doit être le sang du héros mort pour la liberté. » Au surplus, le grand reproche que pourrait s’attirer cette larmoyante exilée du paradis de Mahomet serait de ressembler beaucoup trop à un ange du ciel chrétien.

Je voudrais pouvoir citer d’un bout à l’autre la Lumière du Harem. Tous les bulbuls et toutes les roses de la vallée de Cachemire n’ont pas dans leurs gentils gosiers ou parmi leurs feuilles amoureuses un plus ravissant concert d’harmonie et de parfums. Cela étincelle et rayonne, cela gazouille et murmure, cela vous attire, vous éblouit, vous charme, vous enivre et ne vous laisse à la fin qu’un regret, celui de l’avoir fini. Qu’elle est difficile à peindre, cette adorable Nourmahal ! et que sa capricieuse et coquette beauté ressemble peu à la beauté régulière et parfaite dont aucune ombre n’adoucit l’éclat !

Shining on, shining on, by no shadow made tender.