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REVUE. — CHRONIQUE.

été accueillie avec transport. C’était comme le complément même de cette vie laborieuse où le temps est de l’argent, selon le proverbe anglais. Aussi rien de plus énergique et de plus vrai que l’enthousiasme des populations normandes à la vue du prince qui, suivi de l’élite de la société parisienne, venait inaugurer parmi elles ce puissant instrument de locomotion. Une gaieté intelligente et de bon aloi était peinte sur toutes ces figures, qui saluaient l’avenir avec confiance et bonheur. Sous la blouse du cultivateur et sous l’habit du garde national, elles formaient la haie au passage du solennel convoi ; et lorsque celui-ci est entré dans la capitale de la Normandie, il s’est trouvé en présence d’un spectacle vraiment incomparable. La milice de 89 voyant flotter derrière ses rangs, sur d’innombrables étendards, les vieux et symboliques insignes des corporations industrielles, les populaires souvenirs d’un autre âge évoqués pour cette fête le jour même où Versailles étalait dans ses salles nouvelles les blasons étincelans et les bannières armoiriées des croisades, quel plus authentique témoignage que cette poétique évocation du passé pouvait donner la société moderne de sa victoire et de sa pleine sécurité ?

Mais la chambre était à peine rentrée à Paris, qu’elle mettait en oubli ses impressions de la veille, pour se plonger dans les plus froides et les plus pénibles réalités. L’enquête électorale était à l’ordre du jour, et il fallait faire aboutir ce travail herculéen. On a été sévère pour la commission, peut-être même a-t-on été injuste. N’hésitons pas à reconnaître que le principe de l’enquête électorale admis, et cette enquête une fois ordonnée par le parlement, il était à peu près impossible d’éviter les conséquences auxquelles est arrivée la commission. Lorsqu’un pouvoir souverain se trouve dans le cas d’entreprendre une procédure, il répugne au bon sens de lui refuser les droits dont sont investies les plus modestes juridictions correctionnelles. Comment ne pas citer des témoins, et comment ne pas consigner par écrit leurs témoignages, lorsqu’il s’agit de faits que la chambre s’est refusée à juger sur procès-verbaux, et pour lesquels la preuve testimoniale est dès-lors la seule possible ? et, les témoignages une fois recueillis, comment ne pas les imprimer, comment éviter de les distribuer à la chambre ? Une commission a-t-elle, dans l’esprit de notre règlement parlementaire, une autre mission que celle de préparer les décisions législatives ? Peut-elle s’ériger en tribunal et rendre des décisions souveraines, elle qui n’est appelée qu’à les éclairer ? Qu’importe que des révélations douloureuses arrivent au public ; n’est-ce pas la conséquence de toutes les procédures faites au grand jour, la salutaire et virile condition d’un régime de liberté ? Il est impossible de méconnaître qu’on a systémiquement et fort injustement attaqué les opérations de la commission, lorsqu’il eût été plus équitable de s’en prendre au principe même en vertu duquel elle avait agi. N’avoir pas eu assez de fermeté pour contester le droit d’enquête en matière électorale, et faire une querelle sans bonne foi aux honorables membres qui l’ont appliqué, c’est un double tort que nous regrettons d’avoir à imputer à la majorité et au ministère lui-même.

C’était au mois d’août qu’il fallait devancer par la pensée les résultats né-