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CALCUTTA.

semblée, qui frémit de joie, les fleurs de sa triste couronne ! Hâtons-nous de dire, à la réhabilitation de l’esprit humain, que la loi de Manou, sévère à l’endroit des jeûnes et des expiations, ne prescrit aucune de ces pénitences odieuses, pratiquées surtout dans le sud de l’Inde, loin du berceau de la foi brahmanique.

Le Dourgâ Poudja, s’il ressemble plus à un carnaval qu’à une cérémonie religieuse, n’offre au moins aucune de ces scènes affligeantes. La solennité est si grande, que pendant huit jours la douane et tous les établissemens publics sont fermés. Ce temps est employé par les fidèles à diverses pratiques[1], dont la dernière consiste à fabriquer avec de la farine de riz bien pétrie une image de la déesse avec ses quatre bras, sa tiare, son collier de têtes de morts ; autour de Dourgâ on place en manière de cortége quelques autres figures, par exemple celles de ses deux fils, l’oiseau Kartikéya, dieu des armées célestes, et Ganéça à tête d’éléphant, dieu de la sagesse, que l’on invoque à la première ligne de tous les manuscrits. La veille du dernier jour, au soir, chaque famille se livre aux réjouissances ; les palais des riches radjas, illuminés avec luxe, s’ouvrent à la foule. Hindous, musulmans, chrétiens, tous sont admis, régalés même de bonbons et de friandises. À voir les lignes de lampions, la sentinelle debout aux portes, les cavaliers et les voitures, à entendre les cris de la populace, on se croirait transporté en Europe à l’anniversaire de quelque grande journée. Mais passons sous le péristyle : un serviteur, le sabre en main, le bouclier sur l’épaule, annonce au maître la visite des Firanguis (des Francs). Houska pockak dekho, vois leur costume, leur tenue, répond le radja ; saheb log, ce sont des messieurs, murmure le portier avec une révérence, et l’on entre dans une vaste salle ornée de deux rangs de galeries. Dans une niche séparée du public, tout au fond, on voit l’idole et le groupe de figures dressées à ses côtés ; à sa gauche est assis, les jambes croisées, le pourohita, prêtre de la famille ; vêtu seulement d’un pagne, frotté de sandal, le desservant, fier comme un premier ministre auprès de son roi, jette sur l’assemblée un regard superbe, et ne sort de son immobilité que pour arroser la statue d’huile et de parfums liquides. Le radja, couvert de sa longue tunique blanche serrée par une ample ceinture, l’aigrette au front, fait les honneurs de son palais à

  1. En 1840, quelques riches Hindous achetèrent un beau tigre pour l’immoler à Kali ; mais la police s’y opposa, craignant avec raison que les rôles ne vinssent à changer, et que la victime, rompant ses liens, ne prit la place du sacrificateur.