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CALCUTTA.

circonférence de quatre-vingt dix pas ; c’est toute une forêt partie du même tronc. Là aussi le gouvernement essaie de naturaliser le teak, cet arbre si précieux pour la construction des navires par l’éternelle durée de son bois, et qui croît en abondance sur les collines du Malabar ; mais l’acclimatation paraît difficile sur un terrain si humide et avec une température aussi extrême.

Les serres chaudes de Paris présentent, dans la proportion d’une goutte d’eau à un lac, des fragmens de paysage de l’île Bourbon et de la Nouvelle-Hollande ; le jardin de Calcutta, toujours chauffé par le soleil à la température de ces pavillons vitrés, offre, dans la proportion d’un lac à une mer, le tableau à peu près complet des richesses du règne végétal en Afrique et en Asie ; il y a même des instans ou l’on y retrouverait à l’état sauvage plusieurs des hôtes redoutés de nos ménageries, reptiles et quadrupèdes ; car dans l’Inde, au Bengale surtout, la nature se soustrait à la domination de l’homme. Si, tenté par la sereine clarté de la nuit, vous voulez jouir pleinement de ces heures précieuses, restez sur le Gange. Quand les lumières se sont éteintes derrière les fenêtres de la ville et des faubourgs, sur les navires et sur les barques, des cris étranges, et d’autant plus terribles qu’ils semblent passer d’un rire convulsif à une plainte déchirante, s’élèvent sur les deux côtés du fleuve. Tantôt ces voix s’éloignent comme les aboiemens de la meute qui a relancé la bête, tantôt elles partent d’un buisson, d’une grève voisine, si près du bateau, que vous frémissez involontairement ; puis tout se tait, jusqu’à ce qu’un glapissement solitaire venant à troubler ce silence passager, un hurlement général lui réponde des quatre points de l’horizon, grossissant bientôt comme une clameur. Ce sont les chakals[1] qui se mettent en campagne, qui se réunissent et s’appellent pour chasser en petites troupes ; ils parcourent en grand nombre les rues et les places, attirés par la viande que les domestiques hindous, fidèles à leur loi religion jettent sur les fumiers sans la goûter, après les repas des maîtres. Dès que la grille du grand square, de cette belle place plantée d’arbres, rafraîchie par un étang encadré dans un escalier de pierre, s’est fermée sur le dernier promeneur, dès qu’il se fait un peu de silence sur les trottoirs, on est sûr d’entendre le chakal qui s’éveille

  1. Ceci n’est pas une exagération. À l’époque des grandes eaux surtout, quand les jungles sont inondées, les chakals font un tel vacarme, que, selon un auteur anglais, ces animaux rendent par leurs hurlemens les nuits hideuses (by their howling make the nights hideous).