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CALCUTTA.

tiers les rues consacrées à une seule industrie ; comme cela se faisait en France au temps des corporations. Ainsi, il y a telle rue dans laquelle on ne fabrique rien que des stores, des nattes, telle autre où l’on ne vend que des pagris (turbans) tout disposés. Qui ne connaît à Calcutta cette longue rangée de boutiques occupées par des cordonniers chinois ? Là le maître, assis sur un siége élevé, nu jusqu’à la ceinture, la queue retroussée autour du front, trône au milieu des Bengalis, ses apprentis et ses ouvriers. Sur l’enseigne on lit : King-Kouang boot and shoemaker for ladies and gentlemen ; dans le fond de la boutique, on voit les images de Kong-fou-tseu, de Lao-tseu et de Fo, entourées d’une légende en caractères chinois. S’il porte lui-même de ces souliers étranges, à peu près triangulaires, faits selon la tradition du céleste empire, l’artisan de Canton et de Nanking, singulièrement habile à imiter le travail européen, sait comprendre le goût des peuples occidentaux. Le voilà qui revêt sa tunique, met sous son bras le parasol de bambou, sur sa tête le chapeau pointu, et s’en va porter des escarpins, impatiemment attendus, à quelque dame portugaise d’une couleur douteuse, dont les ancêtres viennent plutôt de Goa et de Macao que de Lisbonne.

Les Chinois sont, on le sait, d’intelligens et tranquilles travailleurs, exerçant de père en fils la même profession ; ils excellent particulièrement dans les métiers de menuisiers et charpentiers en navire. Malgré le prix élevé de leurs journées, on les emploie à bord de tous les country-ships (bâtimens du pays) et même de tous les bâtimens anglais naviguant en Asie, parce que, grace à leurs outils plus perfectionnés, à l’assiduité d’un travail non interrompu par les mille distractions d’une paresse héréditaire, les Chinois font deux et trois fois plus de besogne que les Bengalis, habitués à se partager dans ses moindres détails et à attaquer en masse le plus simple ouvrage, non comme de sages ouvriers, mais comme des enfans tumultueux. Ces sujets du céleste empire, coupables de désertion à l’étranger, ne peuvent plus rentrer dans leur patrie. Ils s’en consolent en vivant plus libres, en gagnant plus d’argent, en fumant, à l’abri de la colère impériale, l’opium de Patna, dans de petites pipes en métal. Parfois, le soir, vous verrez un vieux Chinois, chauve et ridé, faire planer dans les airs, au bout d’une ficelle presque invisible, un cerf-volant en forme d’oiseau, si parfaitement imité, que les milans eux-mêmes y sont pris, et jusque dans ce divertissement puéril se trahit la grande différence qui existe entre les Chinois et les Hindous. Ceux-là, artisans ingénieux, positifs, se plaisent à voir voler l’image