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LE ROMAN DANS LE MONDE.

mains pressèrent convulsivement les miennes. — Ursule n’était qu’endormie, elle se réveillait. — Comme la voix d’un Dieu avait dit à une jeune fille morte : « Lève-toi et marche ! » ainsi l’amour disait à Ursule : « Réveille-toi ! »

Ursule aima subitement ; peut-être avait-elle aimé jusqu’alors en secret d’elle-même et des autres ; en ce moment, le voile se déchira, et elle vit son amour.

Au bout de quelques secondes, elle passa la main sur son front, et dit à voix basse : — Non, ce n’est pas possible !

Je ne fis que répéter la même phrase : — Maurice d’Erval demande si vous voulez devenir sa femme, — afin d’accoutumer Ursule à cet assemblage de mots, qui, ainsi que des notes harmonieuses forment un accord, formait pour la pauvre fille une mélodie inconnue.

— Sa femme ! Répéta-t-elle avec extase, sa femme ! — Et, se précipitant vers le fauteuil de sa mère : — Ma mère entendez-vous ? dit-elle ; il me demande d’être sa femme !

— Ma fille, répondit la vieille aveugle en cherchant à prendre la main d’Ursule, ma fille bien-aimée, Dieu devait tôt ou tard récompenser tes vertus.

— Mon Dieu ! s’écria Ursule, qu’est-ce qui m’arrive donc aujourd’hui ? — Sa femme ! — Ma fille bien-aimée !

Elle se jeta à genoux, les mains jointes, le visage inondé de larmes.

En ce moment, des pas se firent entendre dans le petit corridor.

— C’est lui ! s’écria Ursule. Ô mon Dieu ! ajouta-t-elle en posant ses deux mains sur son cœur, voilà donc la vie !…

Je sortis par une porte dérobée, et je laissai Ursule, belle de larmes, d’émotion, de bonheur, recevoir seule Maurice d’Erval.

Depuis ce jour, Ursule fut métamorphosée. Elle se releva, se ranima, se rajeunit sous la douce influence du bonheur. — Elle retrouva bien plus encore que la beauté qui s’était enfuie : il y eut en elle je ne sais quel rayonnement intérieur, qui donnait à son visage une expression indéfinissable de joie voilée. — Son bonheur prenait en elle quelque chose de sa première nature ; il était recueilli, silencieux, calme, exalté avec mystère. — Aussi Maurice, qui avait aimé une femme assise à l’ombre, pâle et désenchantée de la vie, n’avait rien à changer aux couleurs du tableau qui lui avait plu, quoique Ursule fût heureuse.

Ils passèrent l’un à côté de l’autre de longues soirées dans le petit