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parens m’aimaient cependant, mais ils ne m’ont jamais dit ce qu’ils sentaient ; j’ai jugé leur cœur d’après le mien, je les ai aimés, et j’en ai conclu qu’ils m’aimaient aussi. Cependant ma vie n’a pas toujours été aussi triste qu’elle l’est en ce moment, j’avais une sœur…

Les yeux d’Ursule se mouillèrent de larmes ; mais ces larmes ne coulèrent pas : elles avaient l’habitude de rester cachées dans le fond du cœur de la pauvre fille. Elle reprit :

— J’avais une sœur aînée, elle était un peu silencieuse, comme ma mère, mais elle était compatissante, douce, affectueuse pour moi. Nous nous sommes bien aimées… Nous nous partagions les soins à rendre à nos parens. Jamais nous n’avons eu la joie de nous promener ensemble, là-bas, dans les bois, sur le haut de la colline. — L’une de nous restait toujours à la maison pour soigner notre vieux père ; mais celle qui était sortie rapportait quelques branches d’aubépine, cueillies sur les haies, parlait à sa sœur du soleil, des arbres, de l’air. — L’autre croyait aussi avoir quitté la maison, et puis, le soir, nous travaillions ensemble près de la lampe. Nous ne pouvions causer, car nos parens sommeillaient à côté de nous, mais du moins, en levant les yeux, chacune de nous rencontrait sur le visage de l’autre un doux sourire ; nous montions ensuite nous coucher dans la même chambre, ne nous endormant qu’après qu’une voix amie eût souvent répété : « Bonsoir ! dors bien, ma sœur ! »

Dieu aurait dû nous laisser ensemble, n’est-ce pas ?… Je ne murmure pas cependant ; — Marthe est heureuse là-haut !

Je ne sais si c’est le manque d’air, d’exercice, ou bien encore le manque de bonheur, qui donna à Marthe les premiers germes de sa maladie, mais je la vis s’affaiblir, languir, souffrir. Hélas ! moi seule m’inquiétais pour elle ; ma mère ne la voyait pas, et Marthe ne se plaignait jamais. — Mon père commençait à entrer dans l’insensibilité que vous lui voyez aujourd’hui. — Ce ne fut que bien tard que je pus décider ma sœur à appeler un médecin.

Il n’y avait plus rien à faire ; elle languit encore quelque temps, puis mourut.

La veille de sa mort, elle me fit asseoir près de son lit, prit une de mes mains dans ses mains tremblantes : — Adieu, ma pauvre Ursule ! me dit-elle. — Je ne regrette que toi sur la terre. — Aie bon courage, soigne bien notre père et notre mère ; ils sont bons, Ursule, ils nous aiment, quoiqu’ils ne le disent pas toujours. Ménage ta santé pour eux ; tu ne peux mourir qu’après eux. — Adieu, ma bonne sœur ; ne pleure pas trop ; prie Dieu souvent… et au revoir, Ursule !