Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/603

Cette page a été validée par deux contributeurs.
597
LE ROMAN DANS LE MONDE.

J’habitai dix-huit mois cette petite ville, et j’allais peut-être murmurer contre cette longue captivité, lorsque voici ce qui m’arriva.

Pour gagner une des portes des fortifications, il me fallait chaque jour, à l’heure de la promenade, descendre une petite ruelle semblable à un escalier, le sol étant creusé en forme de marches, pour rendre la pente d’un accès plus facile. — En traversant cette étroite et obscure ruelle, pendant long-temps, mes pensées devançant mes pas, je ne songeai qu’à la campagne que j’allais chercher ; mais un jour, par hasard, mes yeux s’arrêtèrent sur une pauvre maison, qui seule paraissait habitée. Elle n’avait qu’un rez-de-chaussée, deux fenêtres ; entre elles, une petite porte ; au-dessus, des mansardes. — Les murs de la maison étaient peints en gris foncé, les fenêtres avaient mille petits carreaux d’un verre épais et verdâtre. — Le jour ne devait pas pouvoir franchir cet obstacle pour éclairer l’intérieur de cette demeure. La rue était trop étroite, d’ailleurs, pour que jamais le soleil y parût. — Il régnait là une ombre perpétuelle et il y faisait toujours froid, quelle que fût, du reste, la chaleur du jour.

L’hiver, quand la neige était gelée sur les marches de la petite rue, on ne pouvait faire un pas sans risquer de tomber : aussi était-ce un chemin désert que moi seule, peut-être, je traversais une fois par jour. Je ne me souviens pas d’y avoir rencontré un passant, ou d’y avoir vu un oiseau se poser un instant sur les crevasses des murs. — J’espère, me disais-je, que cette triste maison n’est habitée que par des personnes arrivées presque au terme de leur vie, et dont le corps vieilli ne peut plus ni s’attrister, ni regretter. — Ce serait affreux d’être jeune là !

La petite maison restait silencieuse : aucun bruit ne s’en échappait, aucun mouvement ne s’y faisait remarquer. Elle était calme comme un tombeau, et chaque jour je me disais : — Qui peut donc vivre ainsi ?

Le printemps vint. Dans la ruelle, la glace se changea en humidité ; puis l’humidité fit place à un terrain plus sec ; puis quelques herbes poussèrent au pied des murs. — Le coin du ciel que l’on pouvait à peine entrevoir devint plus clair. — Enfin, même dans ce passage obscur, le printemps laissa tomber une ombre de vie. — Mais la petite maison restait toujours sans bruit et sans mouvement.

Vers le mois de juin, je me rendais, comme de coutume, à ma promenade de tous les jours, lorsque je vis (qu’on me pardonne cette phrase), lorsque je vis, avec une profonde tristesse, un petit bouquet