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et que plus d’un avait la singulière prétention de réformer sans la peindre. De là ces aberrations vaniteuses, ces rêves de royauté poétique cette prétention au sceptre universel qui se montrait plus impérieuse au moment même où elle devenait moins légitime, tandis que, dans l’enivrement de l’amour-propre, on visait je ne sais quel rôle de maréchal littéraire, il se trouva qu’à ce jeu on avait risqué son talent, que les grades en quelque sorte s’y étaient perdus, et qu’on n’était plus qu’un soldat égaré de la milice confuse du feuilleton. Cependant le monde protestait, et la critique (là où le roman-feuilleton n’avait pas établi ses compagnies d’assurance) ne ménageait point ses avertissemens ; mais au lieu d’écouter ces sages conseils, la vanité ne sut que montrer du dépit. Ici, elle crut avoir raison du dégoût que manifestait le monde contre ses folles exagération en les outrant encore, en s’enfonçant plus que jamais dans les voies mauvaises. Là, elle crut avoir raison de la critique par de honteuses caricatures, par de prétendues scènes de la vie des publicistes littéraires qu’on aurait pu prendre aussi bien pour de médiocres parodies de la vie des romanciers. Puisqu’en définitive, le jugement suprême appartenait au public, était-ce là un moyen sûr de gagner sa cause ? Et qu’importent ces détails à la foule ? La foule, ne voyez-vous pas qu’elle est prête à vous quitter, que déjà elle vous quitte ? Si, à défaut de concurrens, vous la retenez une dernière fois, c’est par la curiosité ; si vous l’intéressez un instant encore, c’est par le scandale. Moyens extrêmes, ressource dangereuse ! Que cédant aux entraînemens d’une popularité passagère, des organes, jusque-là graves, colportent sous leur couvert vos récits éhontés, le lecteur peut s’y arrêter en passant, comme il ferait une visite à Bicêtre ou à Toulon ; êtes-vous bien sûrs de l’y ramener deux fois ?

Ainsi il serait bon d’y prendre garde : le monde peut vous lire encore, mais quand il écrit, quand il met la main pour sa part aux œuvres de l’intelligence, il ne vous imite plus ; ses productions, même les plus légères, se trouvent être une piquante critique de vos procédés factices, de votre manière convenue, de cette débauche que vous avez introduite dans l’art. Ce sont là à notre sens des symptômes tout-à-fait significatifs et qu’il est bon de constater ; c’est une opposition spirituelle et de bon goût, comme le monde en sait faire, une opposition de convenance, où l’épigramme, pour être indirecte, ne frappe pas avec moins de sûreté. Malheureusement, la vanité fait bonne garde sur les frontières qui séparent la littérature d’avec la société, et l’on ne se doute guère, dans l’étroite arène où naît, s’en-