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la main à l’œuvre, et les marins de la frégate rivalisèrent d’activité avec ceux qui devaient rester dans l’île pour y tenir garnison. Après trois semaines de travail, le logement des troupes, les magasins des vivres et des munitions, le four et quelques constructions accessoires étaient entièrement terminés. Les autres détails d’installation pouvaient se poursuivre avec plus de lenteur et avec moins de bras.

Pendant qu’on procédait à cette organisation préliminaire, M. du Petit-Thouars opérait une descente sur la grande île de la Dominica, ou Hiva-Hoa. Sur ce point, eut lieu une nouvelle scène de reconnaissance, à laquelle concoururent les principaux chefs. D’eux mêmes ils demandèrent un pavillon et une garnison, comme leurs voisins de l’île Christina ; mais le contre-amiral n’accorda cette faveur qu’à la condition que les naturels construiraient une grande case pour recevoir les troupes, et trois tribus se mirent sur-le-champ à l’œuvre pour satisfaire à cette demande. De tous les côtés, les négociations prenaient donc une tournure favorable, lorsqu’on acquit la preuve que Yotété n’agissait pas, dans cette affaire, avec une bonne foi complète. Deux ouvriers européens, que M. du Petit-Thouars avait appelé des îles voisines, venaient d’être insultés et maltraités par un homme qui passait pour l’émissaire du roi. Des explications furent demandées, et, pour s’épargner l’embarras d’y répondre, Yotété se tint caché pendant plusieurs jours : il ne reparut que sur les instances du supérieur de la mission, et se borna à fournir quelques satisfactions illusoires. Le contre-amiral insista ; il exigea qu’on lui remît le coupable, et retint à bord le fils du roi comme otage. Yotété aima mieux voir emmener son fils que livrer son favori, et, après deux jours d’attente, la Reine Blanche appareilla pour le groupe du nord, sans avoir eu raison de cette résistance. C’était une faute : avec les sauvages, il convient en pareil cas de recourir sur-le-champ à l’emploi de la force, et de ne jamais se payer de mauvaises raisons. Si l’on eût fait alors un exemple, quelques mois plus tard deux officiers de notre marine, un capitaine de corvette et un lieutenant de vaisseau n’auraient pas péri victimes d’un abominable guet-apens. À défaut de révolte ouverte, on avait à craindre des surprises et des assassinats isolés. La population de la Christina n’est que de huit cents ames, mais des relations journalières avec les baleiniers y ont introduit l’usage des armes à feu, et chaque insulaire a aujourd’hui au moins un mousquet. De là résultait la nécessité de placer le pays sous l’empire d’une crainte salutaire. On eût ainsi prévenu des attentats qu’il a fallu plus tard sévèrement châtier.