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VOYAGE AUTOUR DU MONDE.

bragent. Le chef sauvage se montra, à cette occasion, en fonds de générosité, et offrit au capitaine un diadème en plumes de coq d’un fort joli goût ; en même temps il le fit saluer de toute son artillerie, qui consiste en une caronade à demi enterrée sous le sable. C’était faire royalement les choses ; il est vrai qu’en homme avisé il sut se ménager des dédommagemens. En effet, le soir même Yotété alla dîner à bord de la frégate, et, avec la finesse qui caractérise ces races, il parla d’un bel uniforme à grosses épaulettes qu’il avait reçu du capitaine anglais Bruce. « Celui-là, ajouta le rusé sauvage, je le réserve pour monter à bord des vaisseaux de la Grande-Bretagne ; je n’en ai donc point que je puisse revêtir pour me rendre convenablement à bord des bâtimens de guerre français. » L’argument était puissant et direct ; M. du Petit-Thouars s’exécuta : il offrit un uniforme à son ami Yotété ; mais les rois des îles Marquises n’estiment pas les présens incomplets, et, pour rendre sa majesté tout-à-fait heureuse, il fallut y ajouter une chemise et un pantalon. Alors le noble souverain ne se posséda plus ; il se promena fièrement, se regarda dans toutes les glaces, fit venir son premier ministre pour lui donner la satisfaction de l’admirer, se montra à l’équipage pour voir quel effet produisait son nouveau costume. On ne saurait se faire une idée de la vanité de ce vieil enfant ; c’était le plus singulier et le plus amusant spectacle que l’on pût voir. Pour compléter l’espèce de rafle qu’il exerçait ce jour-là, Yotété voulut avoir un pavillon. Un grand chef comme lui devait arborer des couleurs ! Le commandant lui donna à choisir ; il prit un damier à carreaux rouges et blancs et le fit immédiatement flotter au-dessus de sa case.

À peine la Vénus, prenant congé du roi Yotété, avait-elle quitté les îles Marquises qu’une autre expédition française parut dans cet archipel ; c’était celle du commandant d’Urville, qui revenait alors du pôle austral avec ses deux corvettes. Seulement, au lieu de mouiller sur l’île Christina, M. d’Urville porta sa reconnaissance un peu plus au nord et vint s’établir sur l’île de Nouka-Hiva, dans la baie de Taïo-Hae. La scène la plus animée signala les premières heures de la relâche, et en lisant ce récit on se reporte aux descriptions gracieuses qui accompagnent les voyages de Cook et de Bougainville. À l’arrivée de nos deux corvettes, la rade se couvrit d’un essaim de femmes qui se rendaient à la nage le long du bord, tout en babillant et folâtrant. À cette vue, pour prévenir un premier moment de désordre, les capitaines firent déployer ce que l’on nomme les filets