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VOYAGE AUTOUR DU MONDE.

ne songe pas à quitter ce charnier, il ne le pourrait pas d’ailleurs dès qu’il s’est gorgé de nourriture : pour reprendre son vol, il faudrait qu’il pût courir pendant quelques pas, et les pieux l’en empêchent. La porte de l’enceinte lui fournit seule une issue, et c’est là que les chasseurs l’attendent. Armés de bâtons ferrés et disposés sur deux rangs, ils assomment les condors qui se présentent au passage ; d’autres chasseurs attendent plus loin avec des fusils ceux qui pourraient s’échapper. La porte est entr’ouverte de manière à n’en laisser sortir qu’un ou deux à la fois, et, quand ceux-ci sont expédiés, on passe à d’autres. Tous y succombent, mais non sans faire une vigoureuse résistance. Les condors se défendent à coups de bec et à coups d’ailes, et, si l’on manque d’agilité ou d’adresse, on peut recevoir une blessure grave et ne sortir de là qu’avec un membre brisé. Les dames assistent parfois à cette chasse ; mais elles ont le soin de se tenir à l’écart. C’est d’ailleurs une véritable tuerie, et, à la fin de la journée, le champ est jonché de morts. Les fermiers qui élèvent des bestiaux multiplient ces expéditions et se délivrent ainsi de leurs terribles ennemis.

Dans la zone qu’embrassait alors la croisière de la Vénus se trouve l’île de Pâques, limite extrême du monde océanien, et que visitent fort peu de navigateurs. La frégate s’y rendit pour exécuter quelques relèvemens à la voile. Quand on jette un coup d’œil sur la carte et qu’on y voit cet écueil isolé sur une mer presque sans bornes, on se demande par quels moyens il a pu se peupler, et si c’est bien à l’aide de leurs frêles pirogues que les naturels ont affronté l’immensité de l’Océan. La moindre distance du continent est de six cents lieues, et du côté des groupes polynésiens on en compte quatre cents. Encore n’existe-t-il dans cette direction que d’autres îlots sans importance, derniers satellites du groupe de Pomotou, tels que Pitcairn, Ducie et les Gambier. Cependant l’île de Pâques renferme une population évidemment d’origine polynésienne. L’aspect du sol accuse une origine ignée, mais des sommets arrondis et une grande étendue de terrains meubles assignent une date ancienne à ces bouleversemens. Avec des lunettes d’approche, on pouvait distinguer les monumens étranges et plusieurs fois remarqués de cette île. Ils consistent en blocs d’une couleur foncée et à forme pyramidale, et couronnés par des chapiteaux en pierre blanche. Ces blocs, disposés régulièrement, ont été évidemment érigés par la main des hommes, et ont servi sans doute à indiquer des sépultures. Aujourd’hui cette tradition semble tout-à-fait perdue, et les naturels ne savent rien au sujet