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VOYAGE AUTOUR DU MONDE.

stratagème fort singulier. Il se place sur l’un des bords de la rivière, le corps plongé à demi dans l’eau, en ayant soin de hérisser ses poils. Trompés par l’apparence, les petits poissons croient voir de longues herbes, et viennent se loger dans les fourrures de l’animal. Quand l’ours suppose que sa nasse est garnie, il se retire doucement pour ne pas effaroucher sa proie, secoue vivement sa robe et jette ses hôtes sur la plage, où il les dévore. Ce procédé ressemblerait à celui qu’emploient le fourmilier, l’iguana et le crocodile, quand ils offrent leur langue comme un appât à des légions d’insectes, pour la retirer au moment où elle est suffisamment chargée. Cependant la pêche de l’ours est encore plus extraordinaire, et peut-être faut-il se tenir sur la réserve jusqu’à vérification plus complète.

La chasse de l’ours est l’une des passions des habitans de Pétropawlowski. C’est le long des rivières et dans les endroits marécageux qu’on en rencontre le plus. On va s’y mettre à l’affût, ou bien on suit la bête à la piste, qui est fort aisée à reconnaître. Les chasseurs sont ordinairement armés de deux fusils à un coup qu’ils ajustent sur une fourche, afin de rendre le tir plus assuré. Si cette double décharge ne suffit pas, il ne reste plus au chasseur qu’à attendre la bête, qui revient toujours sur lui quand elle est blessée. Alors tout dépend de la manière dont l’homme se servira de la crosse de son fusil : s’il a l’adresse de frapper violemment l’ours sur le museau, celui-ci tombe mort ou étourdi, et il est facile de l’achever ; mais, s’il manque cet endroit vulnérable, l’animal se précipite sur son agresseur, et entame une lutte corps à corps qui se termine presque toujours par la mort de l’homme. Cependant on cite des Russes qui sont sortis mutilés mais victorieux de ces combats terribles. C’est toujours un moment fort dur à passer, et il est plus prudent de ne pas courir une telle chance.

L’hiver est très rigoureux au Kamtschatka, et cependant c’est l’époque où les communications sont le plus actives, car la neige rend le traînage possible. Le gouverneur profite de cette saison pour faire ses tournées et envoyer des officiers en inspection ; le protopope se met aussi en route et va rendre visite aux membres de son clergé. Avant d’entreprendre ces voyages, les Kamtschadales examinent le temps avec un soin particulier, et se trompent rarement sur les pronostics. Sans ces précautions, ils risqueraient d’essuyer ces tempêtes de neige si redoutables dans les hautes latitudes. Quand ils sont surpris par une de ces tourmentes, ils s’arrêtent et se laissent enterrer en se garantissant de leur mieux. La bourrasque une fois passée,