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petite goëlette qui fit voile pour le groupe de Pounipet, et les déposa sur ce rivage. M. Bachelot n’eut pas la force de résister à cette nouvelle persécution ; les fatigues de la traversée l’achevèrent : il mourut et fut inhumé à Pounipet. Les choses n’en pouvaient pas rester là sans compromettre l’autorité de notre pavillon. La frégate l’Artémise, qui achevait alors sous les ordres du capitaine Laplace une exploration dans l’Inde, reçut à ce sujet des instructions précises et se disposa à les suivre[1].

Après le départ de M. Bachelot, une sorte de persécution, organisée par les wesleyens, vint épouvanter la petite église catholique des Sandwich. Il y eut des martyrs, il y eut des confesseurs parmi ces tribus à peine civilisées. Bingham poussa l’égarement du zèle jusqu’à des violences déshonorantes. Il fit enfermer dans le fort ceux qui lui résistaient, chercha à les séduire par des offres d’argent ou à les intimider par des menaces. On s’accorde à dire que beaucoup d’entre eux persévérèrent dans leur foi et que les séductions échouèrent comme les sévices. Tout l’odieux de cette conduite retomba sur la mission wesleyenne, qui fut dès-lors un objet de mépris, même pour les protestans anglais et américains. Les résidens se séparèrent de ces hommes qui interprétaient ainsi l’Évangile et traitaient des catéchumènes comme l’auraient fait des proconsuls romains. On vit là-dessous plus d’ambition que de ferveur et moins de fanatisme que d’avidité. Ce fut dans ces circonstances que l’Artémise fit une apparition sur ces côtes, deux ans après que le capitaine du Petit-Thouars les eut quittées. Le capitaine Laplace conduisit la négociation de la manière la plus ferme et la plus résolue. Le 10 juillet 1839, l’Artémise mouillait dans la baie d’Honoloulou en dehors des récifs. La vue d’un bâtiment de guerre déployant les couleurs françaises fut pour la population un sujet d’émotions diverses ; les chefs et les missionnaires en ressentirent une vive frayeur, les résidens une joie extrême et ceux-là ne récapitulaient pas sans appréhension les griefs que la France avait à faire valoir contre eux, la violation des accords signés avec M. du Petit-Thouars, la déportation et la triste fin de M. Bachelot, les persécutions exercées contre la petite église catholique ; ceux-ci voyaient avec plaisir que l’on donnât enfin une leçon aux sectaires qui faisaient peser sur l’île le joug d’une dévotion intolé-

  1. Le contre-amiral Laplace n’ayant encore publié que les deux premiers volumes de son intéressante relation, j’emprunte la suite de ce récit à des notes fort exactes qui m’ont été confiés par un officier de l’expédition.