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VOYAGE AUTOUR DU MONDE.

peine découvre-t-on çà et là quelques vallons que décorent de beaux tapis de verdure.

L’archipel des Sandwich a été trop souvent décrit pour qu’il soit utile de s’y étendre ; il faut se borner à raconter ici l’épisode principal du passage de la Vénus, et les circonstances curieuses qui l’accompagnèrent. Le hasard voulut qu’au moment où une frégate française mouillait devant cette île, un de nos compatriotes eût précisément besoin d’un appui contre le fanatisme local. Deux prêtres catholiques[1], l’un Français, M. Bachelot, l’autre Irlandais, M. Short, après un séjour de quatre ans aux Sandwich et un apostolat fructueux, en furent chassés en 1831 par l’influence de missionnaires wesleyens qui s’étaient emparés de l’esprit de la reine. Comme les proscrits se refusaient à obéir, on les déporta de force sur une goëlette appartenant au roi du pays, et on les jeta sur une plage déserte du golfe de Californie. Les deux prêtres ne se rebutèrent pas. Avec cette persévérance qui caractérise les défenseurs de la foi, ils profitèrent d’un changement de règne pour reparaître, vers la fin de 1836, aux îles Sandwich, où leur petit troupeau les attendait. La Clémentine, brick-goëlette appartenant à M. Dudoit, notre agent consulaire à Honoloulou, les ramena dans ce port, et à leur débarquement ils reçurent de ce fonctionnaire l’hospitalité la plus empressée. On devine à quel point ce retour exaspéra les wesleyens, qui avaient alors pour chef un homme d’un sombre puritanisme. De nouvelles intrigues s’ourdirent. Le roi des Sandwich, Tamea-Mea III ou Kaui-Keaouli, était entièrement gouverné par sa sœur, la princesse Kinau, et celle-ci par le missionnaire Bingham. Les deux prêtres catholiques étaient donc condamnés d’avance. En effet, peu de jours après leur arrivée, on leur signifia, de la part du roi, qu’ils eussent à se rembarquer sur la Clémentine, et, sur leur refus d’obéir, on employa de nouveau la violence pour les conduire à bord. En vain M. Dudoit résista-t-il et fit-il amener le pavillon de son navire ; l’ordre d’exil fut maintenu, et il allait être exécuté quand la Vénus parut sur la rade d’Honoloulou. La présence d’un bâtiment de ce rang changeait la face des choses.

Il faut rendre cette justice au consul anglais, qu’il avait pris parti pour les victimes contre les persécuteurs. Le consul américain lui-même n’approuvait pas Bingham, quoiqu’il fût son compatriote ; mais

  1. M. Adolphe Barrot a déjà parlé, dans cette Revue (1er  août 1839), de ces deux missionnaires et de leurs aventures. Les faits commencent ici au point où il les a laissés.