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de sac, les femmes ne peuvent marcher qu’à très petits pas, et à condition que leurs moindres mouvemens se dessinent.

Comme toutes les villes qui reposent au pied des Andes, Lima est sujette à de fréquens tremblemens de terre. Rien ne les annonce, rien ne les précède ; ils arrivent en toute saison et se renouvellent souvent. Quand un phénomène de ce genre se déclare, un cri se fait entendre d’un bout de la ville à l’autre, et à l’instant la foule émue se précipite hors des maisons. Les rues, ordinairement solitaires, se remplissent d’habitans qui fuient devant le danger, et quand l’accident a lieu la nuit, on conçoit quel bizarre spectacle il en résulte. C’est à qui se mettra en règle avec sa conscience ; les uns se jettent à genoux et frappent la terre de leur front, d’autres font la confession publique de leurs fautes et s’administrent dans la poitrine des coups de poing sonores ; d’autres, plus aguerris, profitent de ce moment de trouble pour dévaliser les logemens. En des occasions moins graves et plus fréquentes, une scène tout aussi curieuse s’offre à l’étranger. Au milieu de la promenade la plus animée, de la fête la plus bruyante, il est étonné de voir que tout s’arrête à l’instant, comme par magie. Les voitures ne roulent plus, les promeneurs suspendent leur marche ; les sayas, les hommes du peuple, les femmes, les enfans, les animaux, tout est frappé d’immobilité ; les cris cessent, les conversations aussi ; aux bruits d’une grande ville succède le silence du désert. C’est que l’Angelus vient de sonner. Au premier tintement de la cloche, la vie est pour ainsi dire supprimée ; il faut se recueillir et prier jusqu’aux derniers coups de la sonnerie. Alors tout recommence brusquement, l’agitation et le bruit, les cris et les entretiens.

La Vénus quitta le Callao de Lima vers le milieu de juin, et, servie par la brise et l’état de la mer, elle arriva en vue des îles Sandwich après trois semaines de navigation paisible. La première terre qui frappa le regard fut celle de Mawi, où des cascades éblouissantes se précipitent dans la mer du haut de falaises escarpées. La frégate ne fit que longer cette côte, et le lendemain elle laissa tomber l’ancre sur l’île d’Oahou et dans la baie d’Honoloulou, qui passe pour la capitale de cet archipel. Rien n’est plus triste à l’œil que l’aspect de ce rivage du côté du vent : point de végétation apparente, partout le rocher nu. Les montagnes sont découpées en cannelures qui, de loin, ressemblent à des tuyaux d’orgue, et sur plusieurs points, les pierres sont noires comme si elles avaient subi l’action d’un feu récent. Tout le groupe, d’origine ignée, porte la même empreinte de dévastation ; à