Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/516

Cette page a été validée par deux contributeurs.
510
REVUE DES DEUX MONDES.

Laurent une colonie durable et prospère. Chaque année, on voyait, à une certaine époque, les coureurs des bois abandonner les villes et les bourgades, et remonter, sur de légers canots chargés d’armes, de munitions de guerre et d’objets d’échange, les innombrables cours d’eau qui coupent le haut Canada ; ils allaient à la poursuite des tribus indiennes. Les sauvages aimaient ces hardis aventuriers, qui, en échange des produits de leur chasse, les initiaient à de nouvelles jouissances. La communauté de goûts, de plaisirs, d’habitudes, effaçait les répugnances de races. Les Français passaient de longs mois au milieu des Indiens, partageant leur manière de vivre, adoptant leur costume et leurs mœurs, et prenant des femmes parmi eux. Les négocians anglais, que vexait le monopole de la compagnie de la baie d’Hudson, mirent cette race intelligente au service de leur expérience commerciale ; mais ils ne tardèrent pas à s’apercevoir que, malgré leur habileté et leurs capitaux, la compagnie empruntait du principe de l’association une force qui maintenait sa supériorité. Tant d’entreprises isolées ne pouvaient s’entendre entre elles, et, sans trop songer à la ruine de la compagnie, elles se faisaient une concurrence dangereuse. C’est ce qui décida les principaux intéressés dans le commerce des fourrures et des pelleteries à former une société, en 1783, sous le titre de compagnie du nord-ouest, et dès-lors la compagnie de la baie d’Hudson vit s’évanouir son antique prospérité.

Habilement dirigés, soutenus dans leur audace, les Canadiens obtinrent des résultats surprenans ; on en vit s’aventurer jusqu’à plus de douze cents lieues au-delà de Montréal. Cependant ces succès ne pouvaient satisfaire les négocians anglais. Le champ des spéculations était vaste, fécond, mais il pouvait s’épuiser ; ce n’était pas assez de jouir du présent, il fallait songer à l’avenir. Derrière les contrées parcourues par les coureurs des bois s’étendaient d’immenses solitudes inconnues ; la compagnie du nord-ouest entreprit de les faire explorer. Mackensie, qui était un de ses agens, fut mis à la tête d’une expédition, et chargé de sonder ce vaste territoire et de rechercher la rivière dont Carver avait appris l’existence. Ce hardi voyageur ne remplit qu’en partie sa mission. N’étant guidé par aucune notion précise, errant à l’aventure, il n’atteignit la mer Pacifique que cent cinquante lieues au nord de l’embouchure de la Columbia, dont il avait inutilement cherché les sources et le cours, et long-temps après l’exploration de Robert Gray. Ces faits sont évidens ; ils ressortent du récit de cette expédition, publié et écrit par