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fait entreprendre avec lui dans le midi de la France, dans le nord, puis en Belgique, puis en Allemagne, il s’occupe, avant tout, de chemins de fer, de canaux, d’usines, d’institutions de crédit, d’écoles professionnelles, de toutes les choses enfin qui servent à développer le bien-être et la richesse d’une nation. C’est là le fond du livre. Arrivé dans un pays, l’ingénieux économiste nous dit quelle est la situation industrielle et commerciale de ce pays, quels sont ses progrès, quelles sont ses ressources, ce qu’il veut faire, et ce qu’il doit faire pour se développer dans la mesure qui lui convient. Sur tous ces points, on trouve des renseignemens précieux dans le livre de M. Michel Chevalier, et ces renseignemens n’ont jamais l’aridité d’une statistique : ils instruisent et ils intéressent en même temps, parce qu’ils ont de la nouveauté, et parce qu’ils portent l’empreinte d’une imagination vivement frappée des choses qu’elle voit. À côté de la situation industrielle d’un pays, M. Michel Chevalier considère toujours la situation politique et morale, car les destinées industrielles d’un état sont liées à la nature de son gouvernement et à ses mœurs. La politique revient souvent dans le livre de M. Michel Chevalier. Ceux qui accusent la civilisation industrielle d’engendrer la démoralisation, l’anarchie et le despotisme, trouvent en lui un adversaire déclaré, toujours prêt à les combattre par d’excellentes raisons. Il voit dans le régime industriel une garantie puissante pour l’ordre comme pour la liberté, et un gage de leur union indissoluble. Que les peuples travaillent, que les merveilles de l’industrie s’accomplissent, que partout l’esprit humain soumette la matière à ses lois, il en résultera un bien-être général qui adoucira les relations des hommes. La liberté, plus sûre d’elle-même, goûtera en paix le fruit de ses conquêtes. Le pouvoir, étant mieux apprécié, sera mieux obéi, et l’accord des deux principes naîtra de leur confiance mutuelle.

Si M. Michel Chevalier nous promettait l’âge d’or, s’il nous disait qu’au moyen des banques, des canaux, des chemins de fer et de l’éducation professionnelle, les hommes formeront un jour une communauté de frères où chacun vivra heureux, content de soi et des autres, et dans toutes les délices que le corps et l’ame peuvent goûter sur cette terre, nous pourrions admirer son enthousiasme sans le partager ; mais ce que j’aime dans ces souvenirs de voyage que publie M. Michel Chevalier, c’est que son enthousiasme ne va jamais au-delà d’une juste mesure. Tout en témoignant l’admiration la plus vive pour l’industrie et pour les biens qu’elle promet au monde, M. Michel Chevalier ne dissimule pas les souffrances qu’elle renferme, et il n’annonce pas qu’elle guérira tous les maux qu’elle peut produire. Il n’est pas même persuadé qu’elle augmentera considérablement dans ce monde la somme du bonheur et du plaisir. Le problème du bonheur sera-t-il résolu parce qu’on pourra faire quarante lieues à l’heure et le tour du monde en onze jours ? Il est permis d’en douter. S’il arrive jamais que l’humanité n’ait plus qu’une langue, qu’un costume, qu’une religion, qu’un roi, les êtres privilégiés qui composeront cette grande famille souffriront-ils moins que nous ? Pour être plus monotone