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REVUE. — CHRONIQUE.

sentations du Puits d’Amour, où lord Cowley et son ambassade aiment à se montrer. La pièce du Puits d’Amour offre bien quelque intérêt si l’on veut, mais il faut acheter cet intérêt au prix de tant d’invraisemblances et de combinaisons hétéroclites, qu’on se demande si c’était vraiment la peine de remuer tant de ficelles et d’ouvrir toutes ces trappes pour arriver à de semblables fins. Il faut avouer aussi que ce style n’est guère de mise, même à l’Opéra-Comique. Comment M. Scribe, qui depuis tantôt quinze ans emprunte des sujets à l’histoire d’Angleterre, ignore-t-il encore à ce point les plus simples formules du langage de l’aristocratie anglaise ? Vous figurez-vous en effet un Clarendon, un Salisbury, appelant à tout propos sa fiancée, charmante miss, adorable miss ? Mais un boutiquier de la Cité ne s’exprimerait pas de la sorte, et de pareilles bévues reviennent à chaque instant sur les lèvres des acteurs, qui semblent affecter d’appuyer dessus avec complaisance. Disons aussi que tous ces grands noms du peerage sont un rude embarras pour l’Opéra-Comique, où le chanteur les prononce à la française (comme cela se pratique du reste au théâtre Favart), et nous ne savons rien de plus ridicule et de plus niais que Clarendon rimant avec pardon, où, pour s’efforcer de leur rendre la couleur naturelle, il avale les syllabes et dénature la musique. Le mieux serait d’appeler le marquis de Clarendon Almanzor, et Lorédan le comte de Salisbury, comme on faisait jadis aux beaux jours de la Caverne, de Montano, des Petits Savoyards, et de tant d’autres agréables vieilleries, auxquelles nous ne désespérons pas de voir revenir d’aventure l’enthousiasme du public. Pourquoi l’art musical n’aurait-il pas, lui aussi, sa petite réaction classique ? Un lauréat du Conservatoire qui nous apporterait, à l’heure qu’il est, quelque anodine pastorale dans le goût de Joconde et du Rossignol, enterrerait, en moins de quatre jours, Rossini et Meyerbeer. Qu’on y réfléchisse, il y a la fortune et l’avenir d’un jeune homme dans cette tentative, à laquelle, nous aimons à le croire, le fanatisme du Constitutionnel ne manquerait pas.

La musique de M. Balfe a de la grace, de l’élégance, et je ne sais quelle désinvolture italienne qui vous séduit, bien que dans le fond les conditions essentielles se laissent un peu trop regretter. Cela, sans doute, se rapproche de Bellini et de Donizetti, mais par les défauts plus encore que par les qualités. C’est la phrase langoureuse de Bellini, moins le souffle poétique et cette inspiration divinement élégiaque qui caractérise le chantre des Puritains ; d’autre part, c’est Donizetti, moins son orchestre animé, prompt, facile, étincelant de verve et d’artifices. M. Balfe amalgame tant bien que mal les élémens lyriques propres à ces deux maîtres, et, grace à une certaine veine mélodieuse qu’il possède, se compose un genre dont on se lasserait facilement, nous le croyons, mais qui, pour une fois, peut avoir son attrait et plaire par la nouveauté. Le grand défaut de ce genre, c’est d’affecter des proportions peu en harmonie avec les conditions du lieu, et d’apporter de grands airs en bonne règle et des duos de coupe italienne à des gens habitués à ces gentils motifs dialogués qu’on débite plutôt qu’on ne les chante.