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REVUE. — CHRONIQUE.

Les discours d’Achior éveillent dans l’ame de Judith une soudaine inspiration ; elle se recueille, interroge le ciel, entend la voix de Dieu qu’accompagnent même quelques roulemens de tonnerre, et sort de cette ardente extase décidée à frapper le grand coup qui doit délivrer Israël. Guidée par Achior, elle va se rendre dans le champ d’Holopherne. Plus de vêtemens de deuil ; qu’on lui apporte ses parures ; il faut qu’elle soit belle, puisqu’elle veut séduire. La toile se baisse sur une apostrophe qu’elle adresse au Seigneur pour lui demander d’augmenter l’éclat de ses charmes.

Au second acte, nous sommes dans un des appartemens de la tente d’Holopherne, la plus élégante de toutes les tentes. Holopherne pense à Judith, car il la connaît déjà, quoiqu’elle n’ait pas encore franchi l’enceinte de son camp ; toujours enclin à une rêveuse galanterie, il allait se cacher derrière des arbres pour la contempler des heures entières tandis qu’elle priait dans le jardin des Tombeaux. Lorsqu’on vient lui annoncer son arrivée, il s’élance au-devant d’elle comme un poète de vingt ans au-devant d’une femme dont la robe blanche l’a fait rêver. Devenu tout à coup gémissant comme un agneau perdu, il trouve, pour exprimer son amour, des paroles si tendres, que la belle juive en est émue. On se souvient du vers de Virgile sur Didon écoutant la parole d’Énée : « La mémoire de Sichée s’effaçait peu à peu de son ame. » Manassé est bien près d’avoir le même sort que l’époux de la reine de Carthage. Aux discours de la passion la plus vive et en même temps la plus délicate, Holopherne mêle les offres les plus généreuses. Si Judith le veut, il rendra la liberté à tous les captifs hébreux, il lèvera même le siége de Béthulie. Pendant tout le cours de cet acte, la conduite du général assyrien est tellement irréprochable, que tous les spectateurs se demandent avec Judith, au moment où une seconde fois la toile est sur le point de se baisser, pourquoi faut-il donc qu’il périsse ? Le troisième acte, qui est le dernier de cette tragédie, à laquelle on ne peut point refuser, par exemple, le mérite de la brièveté, renferme la partie de la pièce la plus curieusement attendue, cette fameuse scène sur laquelle la Bible a laissé tant de mystère. Mme de Girardin semble d’abord avoir franchement accepté la situation. Voici une table chargée de mets et d’amphores ; Holopherne prend place à côté de Judith. Jusqu’où l’exactitude biblique va-t-elle nous conduire ? C’est la question que chacun se pose, quand une pensée assez singulière, mais qui lui est peut-être inspirée par le Seigneur, s’éveille dans l’esprit d’Holopherne ; il quitte la salle du festin pour se retirer dans la partie de sa tente où il repose ; seulement il a soin, en s’éloignant, de faire promettre à Judith qu’elle ira le rejoindre à minuit. La farouche Israélite demande alors à son Dieu un miracle qui certainement réclame toute la puissance divine : elle lui demande de faire descendre sur les paupières d’un homme que quelques instans seulement séparent d’un bonheur qu’il paierait de sa vie, le plus épais des sommeils. Après cette prière, elle s’arme d’un glaive, puis reparaît bientôt, ce glaive teint de sang. Le prodige a eu lieu : Holopherne était endormi, elle l’a égorgé sans que ses yeux se soient rouverts.