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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

tion que l’élément musulman ; or la Bosnie musulmane ne peut se maintenir séparée des Turcs. En outre la Bosnie chrétienne contre-mine incessamment sa rivale. Privé d’unité nationale, ce pays ne peut trouver de remède contre l’anarchie que dans un démembrement qui partagerait son territoire entre les Turcs, les tribus monténégrines, la Serbie, et peut-être enfin l’Autriche elle-même ; car cet empire, possédant déjà une partie de la Croatie, tend à s’approprier le reste de cette province, toute catholique latine, et par conséquent sympathique à l’Europe occidentale.

Il est probable que l’Autriche, qui soutient avec tant de zèle ses missionnaires croates, espère, par leur influence, se créer un parti dans toute la Bosnie. Cette conduite lui est imposée par sa situation même : séparant la Dalmatie de la Slavonie hongroise, la Bosnie s’enfonce dans l’empire d’Autriche comme un coin, comme une hache toujours prête à fendre l’arbre des Habsbourgs, dès qu’il se trouvera en Orient un pouvoir capable de seconder la nature. Il est donc tout simple que l’Autriche veuille s’approprier une position si menaçante pour ses provinces du sud ; aussi l’a-t-elle déjà plusieurs fois envahie, alors même qu’elle ne possédait pas Kataro ; à plus forte raison doit-elle la convoiter aujourd’hui que la plus grande partie de ses ports se trouvent être les seuls débouchés de la Bosnie. Il suffirait que cette riche province cessât tout d’un coup d’approvisionner les marchés dalmates, pour que le commerce autrichien fût aussitôt livré à de graves perturbations. Malgré tant de considérations puissantes, l’Autriche se gardera bien d’attaquer les Bosniaques tant qu’elle verra se prolonger leur état d’irritation : comme le sanglier blessé à mort, ils pourraient faire payer cher à l’agresseur son audace, surtout si le sultan leur rendait dans ce moment critique tous leurs priviléges. Ces hommes sont invincibles dans leurs montagnes, tant que les Serbes du Danube ne se joindront pas à leurs ennemis. L’Autriche ne pourra jamais faire contre eux qu’une guerre de détail, avec cinquante mille hommes au plus, divisés en une cinquantaine de bandes, qui se dissémineraient sur tous les points du territoire pour y lutter chaque jour, et chaque jour s’épuiser sous les coups imprévus d’un peuple entier de haïdouks. Le pays n’offrirait aux envahisseurs aucune ressource alimentaire ; les soldats seraient réduits à transporter sur leur dos même leurs provisions de bouche, et cette guerre, comme celle des Russes au Caucase, pourrait se prolonger indécise pendant un demi-siècle, car on n’emportera pas les citadelles de Travnik, Saraïevo, Mostar, Zvornik, Livno-Chepisé, Bania-Louka, si l’on n’a