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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

sacre des raïas de Mokra-Gora, vint lui apprendre les ravages commis par les Bosniaques. Aussitôt Mitchitj vola avec ses momkes au secours des victimes ; mais il ne trouva plus que des cadavres et des cendres. Les cinq cents Bosniaques musulmans qui avaient détruit Mokra-Gora pour ne pas voir passer ce village intact aux mains de leurs rivaux, s’étaient portés sur Zaovina, autre commune éloignée de deux lieues, et qu’ils ravageaient également. Leurs chefs étaient Arif, beg de Vichegrad, Sali, beg de Roudog, Alaï-Tchenghitj, Moustaï et Sertchitj, begs de Zagora, de Priboïé et de Gorajda. Ces hommes naguère opulens, qui se voyaient réduits à la misère, s’étant abouchés avec Mitchitj, lui dirent que les terrains concédés appartenaient en propriété à leurs familles et à leurs tribus, que le sultan ne pouvait les aliéner sans s’entendre auparavant avec eux, et qu’en conséquence ils avaient droit de les défendre, jusqu’à ce que la supplique envoyée par eux au divan obtînt satisfaction. Mitchitj ne répondit qu’en présentant les ordres de Miloch, et, à la tête de trois cents momkes, chargea les begs, qui, après lui avoir tué ou blessé grièvement une vingtaine d’hommes, se replièrent sur le défilé qui défend les abords de Vichegrad et s’y retranchèrent. Renonçant à les forcer, Mitchitj alla donner l’assaut à Mokra-Gora, occupé par trois cents Bosniaques, qui, après un combat de trois heures, se retirèrent, laissant leurs morts, et entraînèrent dans leur retraite sur Vichegrad un renfort de deux cents spahis qui accouraient à leur secours.

Miloch reçut la nouvelle de ces tristes scènes dans sa résidence de Kragouïevats, située à cinquante lieues de la frontière de Bosnie. Il réunit aussitôt quatre mille guerriers d’élite et les confia à son frère Iovane, le chargeant d’aller tirer une éclatante vengeance des infidèles, pour leur apprendre à mieux respecter les ordres de leur sultan. Cette petite armée se dirigea sur Vichegrad, où les spahis dépossédés avaient concentré leurs forces ; mais, à l’approche des Serbes chrétiens, les malheureux begs s’enfuirent en tumulte au-delà de la Drina, avec leurs femmes, leurs enfans, leurs chariots. Ils étaient chassés pour toujours ! Quand les derniers Maures quittèrent Grenade, bannis par les Espagnols, il se passa un drame plus poétique peut-être, mais non plus attendrissant que celui dont le Stari-Vlah fut le théâtre au printemps de 1834. Ici on voyait non pas, comme en Espagne, deux peuples différens, mais un seul et même peuple, divisé en deux fractions, chrétienne et musulmane, dont l’une, se croyant, dans son fanatisme, ennemie irréconciliable de l’autre, la renvoyait sans pitié du territoire obtenu par les traités. On voyait