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à battre en retraite. Revenu à son château de Zvornik, Vidaïtj en trouva également les portes fermées ; un de ses parens, Mahmoud, ami de Memich-Aga, y avait pris sa place. Le proscrit, toutefois, parvint à s’introduire dans la ville au moyen de ses partisans ; il y combattit de rue en rue ses ennemis et allait les expulser, quand le capitaine de Gradachats, Vouseïne, apparut, amenant un renfort aux conjurés. Attaqué par devant et par derrière, Vidaïtj se renferma dans son konak, où il lutta en désespéré jusqu’à ce que Vouseïne et Mahmoud, mettant le feu au palais, forcèrent enfin le héros à se rendre prisonnier.

La Porte, qui très probablement avait ourdi ce complot pour désorganiser la Bosnie, n’obtint point de sa perfidie le résultat qu’elle en attendait. Loin de maltraiter son captif, le jeune Vouseïne l’embrassa et le choisit pour son pobratim, et dès-lors les deux héros inséparables n’agirent plus que comme un seul homme. Fils du capitaine Osmane, dont les piesmas célèbrent la vaillance et la sage équité, Vouseïne, déjà populaire, fut bientôt regardé par tous les Bosniaques comme le défenseur de leurs priviléges ; l’anarchie céda peu à peu devant l’autorité du nouveau chef, et, devenus forts par leur union, les Bosniaques se levèrent contre le sultan giaour. Parmi les piesmas bosniaques composées sur cet évènement, celle d’un aveugle chrétien de Novibazar, nommé Pavel-Tchourlo, mérite d’être citée :

« Dieu clément, tout ce que tu fais est bien ! Comme ton soleil illumine l’Orient et envoie ses éclairs jusqu’en Occident, de même le tsar de Stambol, en ouvrant les yeux, embrassa le monde, et vit tout ce qui s’y passait ; et s’apercevant de toutes les injustices auxquelles les janissaires prêtaient leur appui, il foula avec indignation leur odchak, leva son cimeterre contre ces soldats coupables, et en fit périr soixante mille dans l’espace de six jours. Puis, il lança un firman qu’il envoya dans toutes les provinces, pour annoncer l’établissement du nizam. Des peuples nombreux obéirent, de Stambol à Prichtina, patrie de Pletikosa-Pavel, et à Voutchitern, où naquit l’héroïque Voïno… Mais deux puissans vassaux résistèrent, l’un en Albanie, l’autre en Bosnie, l’un nommé Moustapha, descendant d’Obren-Beg, chef de la race de Bouchatli, l’autre appelé capitaine Vouseïne, issu de ce Vouk Brankovitj, qui trahit l’empire serbe à Kossovo.

« S’inquiétant peu du tsar et de ses firmans, Vouseïne a déclaré que, dût la foudre du ciel le dévorer, rien n’obtiendra de lui obéissance au nizam. Le visir de Skadar a la même pensée, et presse par ses lettres son ami Vouseïne de convoquer pour la guerre les quarante capitaines et les douze grands voïevodes de Bosnie. Aussitôt l’ardent Vouseïne rassemble ses agas et tous les capitaines dans la verte vallée, au pied de son fort de Gradachats.