Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/458

Cette page a été validée par deux contributeurs.
452
REVUE DES DEUX MONDES.

toutes également au joug du sultan. Bientôt, des nombreux chefs bosniaques il ne resta plus en Serbie que le jeune Ali Sertchesma, pacha de Nikchitj. Cet audacieux capitaine s’obstinant à garder le défilé de Doublié, dans la Matchva, Miloch marcha sur lui en personne, et eut pour la première fois le courage d’attaquer les Bosniaques en plein jour. Le pacha Ali, complètement battu, fut fait prisonnier et amené dans la tente de l’obor-knèze, qui le régala de son mieux, lui servit le café et le tchibouk et, le faisant asseoir sur son plus beau cheval, le renvoya au visir de Bosnie avec des propositions de paix. Ali, en partant, lui promit de tout faire pour l’aider à devenir prince de Serbie.

Le visir Khourchid feignit d’accéder aux demandes de Miloch, et l’invita à une entrevue sur la Drina. Miloch, avec les autres knèzes, se hasarda dans le camp turc ; mais le visir, n’ayant pu obtenir des knèzes la reddition des armes, pensait à retenir Miloch comme otage. L’obor-knèze fut tiré de ce mauvais pas par Ali Sertchesma, qui, en l’introduisant dans le camp, lui avait juré de l’en faire sortir sain et sauf, et voulut tenir son serment. Cette loyauté, jointe à quelques autres complaisances des capitaines bosniaques envers Miloch, augmenta encore l’aversion vouée aux spahis par Khourchid et les Turcs. Le divan se persuada de plus en plus que ces musulmans de Bosnie étaient des traîtres, des giaours mal convertis, et que l’empire ne serait tranquille que quand on les aurait dépouillés de tous leurs priviléges. L’exécution de ce plan n’offrait plus de difficultés sérieuses : les boulevarts extérieurs de l’aristocratie bosniaque étaient détruits ; ces avant-postes qu’elle avait jetés au loin, sous le nom de spahiliks, à travers la Serbie et l’Albanie, jusque sur les balkans bulgares et macédoniens, se trouvaient au pouvoir soit du divan impérial, soit des chrétiens insurgés. Dans le but d’achever la ruine des spahis, le sultan Mahmoud revêtit du visirat de Bosnie le moine Dchelaloudine, homme inflexible, qui avait ordre d’étouffer toute résistance par la terreur des supplices. Sans cour et sans harem, portant dans le visirat les austérités de son couvent, l’étrange ascète sut imposer par sa piété extérieure aux fanatiques bosniaques. Parcourant le pays sous mille déguisemens, il surprenait tantôt les marchands dans leurs bazars, tantôt les raïas et les spahis dans les églises et les mosquées, et s’instruisait ainsi des plus secrètes pensées du peuple. Affectant la plus sévère justice, il soutenait les raïas, sans rien laisser deviner de son antipathie pour les spahis, et, à force de dissimulation, il parvint à s’assurer parmi les spahis eux-mêmes