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envelopper et les tailler en pièces. Tchourdja échappa seul, et quand Jacob arriva au secours des deux cents haïdouks, il ne troua que des cadavres ; mais des mille Bosniaques il ne restait plus debout que quelques hommes qui prirent aussitôt la fuite. Cet héroïque exploit détermina la reddition de trois places importantes, Chabats, Smederevo et Pojarevats, d’où les spahis, pressés par la faim, se retirèrent pour concentrer toutes leurs forces dans Belgrad.

N’espérant plus aucun secours de leurs frères de Bosnie, dont ils se trouvaient séparés par les districts affranchis de Zvornik et de la Save, les quatre dahis se donnèrent au tyran de Vidin, à Pasvan-Oglou, et reçurent dans Belgrad mille volontaires appelés kerdchalis, avec leur capitaine Gouchants. Approvisionnés par les bateaux du Danube, ils auraient pu soutenir le siége pendant des années ; mais ils perdirent courage quand ils virent le sultan prendre parti pour les raïas qui les bloquaient, et envoyer au secours des assiégeans le visir même de Bosnie, Bekir, avec trois mille Ottomans. Ces auxiliaires inattendus furent accueillis par les Serbes chrétiens avec des hourras et des salves de toutes leurs armes, qui jetèrent parmi les assiégés de Belgrad un morne désespoir. Bientôt, se croyant trahis par Gouchants, les dahis s’enfuirent vers la Bulgarie, et les raïas serbes, ayant à leur tête le visir de Bosnie, entrèrent triomphans dans l’ancienne capitale de leur race.

Quel affreux spectacle Belgrad offrait alors ! Les quatre palais des dahis s’élevaient seuls sur un vaste amas d’infectes ruines, peuplées d’esclaves décharnés, meurtris de coups, et qui, depuis des années, ne soutenaient plus leur vie languissante qu’avec les restes d’alimens laissés par les valets, souvent même par les animaux domestiques des kerdchalis.

Un témoin de ces scènes lugubres vit encore actuellement à Belgrad : c’est la veuve d’Aganlia, l’un des quatre dahis. La vieille dame se rappelle toujours avec attendrissement ce beau temps de sa fraîche jeunesse, où, adorée par un prince, elle avait sous elle plus de cent femmes soumises à tous ses caprices. Le sérail mauresque de son mari, devenu aujourd’hui l’imprimerie de l’état, était rempli de cavaliers superbes chargés d’escorter la jeune cadine dans ses promenades et leurs chevaux arabes, rapides comme l’aquilon, frappaient du pied les raïas qui ne pouvaient s’écarter assez vite. De tels souvenirs sont chers à cette femme, que les spahis avaient proclamée la reine des belles, et dont tous les désirs étaient des lois. Mais qui peut se flatter d’enchaîner la fortune ? L’épouse d’Aganlia vit tomber la fleur