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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

braves traqués par les pandours et obligés de se retrancher au fond d’une caverne.

« … Trois jours entiers, Christitj Mladene, avec ses deux fils et leur mère, reste sans alimens couché dans la caverne. Chaque fois qu’ils veulent en sortir, cent carabines s’ajustent sur eux ; ils n’ont pour boire qu’un peu d’eau croupissante restée dans le creux du rocher ; la soif les dévore, au point de gonfler et de noircir leur langue. Au bout de trois jours, la pauvre mère des haïdouks, épuisée, s’écrie : « Enfans ! que Dieu ait pitié de vous et qu’il vous venge de vos ennemis ! » et elle rend le dernier soupir. Christitj regarda le cadavre d’un œil sec, mais les deux fils versaient des larmes quand le père ne les regardait pas. Le quatrième jour parut, et le soleil tarit la dernière goutte d’eau du rocher. Alors l’aîné des enfans de Christitj devint fou ; il mit la main sur son yatagan et fixa sur le cadavre de sa mère deux yeux ardens comme ceux d’un loup affamé. À cette vue, son jeune frère, saisi d’horreur, se perça le bras avec son poignard, et, se tournant vers l’insensé : « Désaltère toi avec mon sang et ne commets pas un crime. Quand nous serons tous morts de faim, nos mânes reviendront manger le cœur de nos ennemis ! » Christitj alors se lève et crie : « Enfans, debout ! mieux vaut périr par les balles que par la faim. » Ils s’élancèrent de la caverne comme des lions ; chacun reçut dix balles dans la poitrine, mais, avant de mourir, chacun tua dix ennemis, et, quoique coupées, leurs têtes effrayaient encore les pandours, qui les emportaient en triomphe sans oser les regarder, tant avaient été redoutables Mladene et ses deux fils ! »

II.

La Bosnie est, avec l’Albanie centrale, le pays le moins connu de la Turquie d’Europe. La population de cette province est en majorité musulmane, mais ses deux annexes, l’Hertsegovine et la Croatie, sont chrétiennes, l’une de rite grec, l’autre de rite latin. Comme tout pays serbe, la Bosnie est partagée en nahias, qui se subdivisent en knéjines. Quoique des révolutions de tout genre aient profondément altéré les mœurs bosniaques, on y retrouve cependant une foule de traces du moyen-âge. Les villes possèdent encore des confréries, et les campagnes des tribus. Celles de ces tribus qui se sont le moins fondues avec la masse de la nation sont : les Vassoïevitj, les Biratch, les Semberias, les Spretchi, les Glasinats. Le système de la tribu s’est surtout conservé en Hertsegovine ; là fleurissent, dans toute la vigueur d’une jeunesse encore indomptée, les Bielopavlitj, les Grahoves, les Plechivtses les Popovi, les Nikchitj, les Tares, les Bratonojitj, les