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poussent des hurlemens lugubres ; tous, brûlant de venger leur infortuné camarade, viennent se poster dans le sanglant défilé qui commande le village et par où doivent passer les Turcs. Ils les voient bientôt paraître, conduits par le noir d’Arabie, qui emportait la tête de Miiat. À cette vue, Jeravitsa saisi d’une douleur amère, ajuste le capitaine et le frappe droit au cœur. Ses trente haïdouks tirent en même temps, et les trente Turcs tombent mourans sur l’herbe ; puis les vainqueurs entrèrent à Bobovo, épargnèrent la bonne et fidèle Marina, mais saisirent le knèze perfide : dans leur fureur, ils lui coupèrent les jambes et les bras, lui arrachèrent les dents, lui crevèrent les yeux, et enfin le brûlèrent vif dans sa koula. Telle fut la récompense du traître. »

D’autres piesmas racontent la résistance victorieuse opposée par les haïdouks aux attaques des visirs de Bosnie. L’un de ces chants a pour sujet la prise et l’évasion de Jeravitsa. Ce terrible successeur de Miiat rançonnait toutes les caravanes qui allaient de Novibazar à Stambol. Voyant un jour du haut des rochers un corps de cavalerie turque déboucher dans la plaine de Kossovo, il s’élança pour le disperser. Les Turcs l’enveloppèrent avec les siens et le firent prisonnier. Conduit au visir, Jeravitsa lui promit pour sa rançon une somme énorme ; le visir, gagné, allait lui donner sa grace, quand les veuves turques vinrent hurler dans la cour du pacha, menaçant, s’il ne livrait pas au bourreau le meurtrier de leurs époux, d’aller en personne se plaindre au tsar de Stambol, qui saurait bien faire tomber la tête de son déloyal vicaire. Le visir, effrayé, tira de prison le haïdouk pour le faire exécuter ; mais, profitant du tumulte qui régnait sur son passage, Jeravitsa heurta le visir, le renversa de cheval, monta lui-même sur l’animal fougueux, et s’enfuit, traversant la foule qui, au lieu de le saisir, applaudit à son audacieuse évasion.

C’est ainsi que la population bosniaque arrête dans leur exécution toutes les mesures administratives de l’autorité ottomane, en soutenant indistinctement tous les rebelles, et même les brigands, lorsqu’ils sont indigènes. Elle croit soutenir en eux les défenseurs de la patrie contre l’oppression étrangère. Tels sont les tristes résultats de la conquête. Les visirs de Bosnie sont incessamment occupés à faire poursuivre les haïdouks par leurs pandours, ou gendarmes ; mais ces hommes de police voient leurs recherches entravées par les habitans des villages, qui presque toujours cachent et nourrissent les proscrits. Quand un de ces pauvres brigands est saisi, le visir le fait ordinairement expirer sur le pal ; aussi, plutôt que de se rendre, il préfèrent tous combattre jusqu’au dernier moment. La piesma de Christitj Mladene peint avec énergie la résistance de trois de ces