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Du reste, les crimes de ce genre sont extrêmement rares, car, ne se mariant que par amour, et après s’être assurés de leur penchant mutuel, les époux bosniaques sont naturellement attachés l’un à l’autre, et la monogamie, à laquelle ils s’astreignent sans égard pour les maximes relâchées du Koran, leur est un gage certain de bonheur domestique. Parmi les familles, soit chrétiennes, soit même musulmanes, qui vivent retirées sur des plateaux abruptes, sans contact avec les réformateurs à la franque, il en est dont la vie privée abonde en traits admirables, et on ne peut observer ces mœurs simples et généreuses sans être surpris et presque effrayé de tout ce qu’une civilisation factice enlève à l’homme de vertus et de calme.

Les Bosniaques allient une bravoure extrême à un culte obstiné pour leurs vieilles coutumes ; cet entêtement les porte quelquefois à des actes de dissimulation et de cruauté qui ne sont nullement dans leur nature. En outre, ils aiment l’argent plus qu’on ne devrait s’y attendre ; mais ils s’en servent pour acheter de beaux et riches costumes, et surtout des armes ornées d’éclatantes ciselures. Nés pour la poésie et la guerre, ils dédaignent la mollesse et le luxe ; briller sur la terre par l’épée et par le chant, voilà leur ambition ; la vie sans héroïsme, ils ne peuvent la comprendre. Toutefois, malgré ces grandes qualités, le Bosniaque est inférieur en intelligence au Slave du Danube et de l’Adriatique, il est moins éclairé, plus crédule, et souvent il discerne mal ses propres intérêts. Aussi l’élan d’enthousiasme religieux et patriotique qui enflamma les autres Serbes dans leurs luttes admirables contre les Turcs et révéla en eux les Espagnols de l’Orient, n’a remué que faiblement la Bosnie.

La nourriture habituelle des Bosniaques est presque la même que celle du Polonais et du Russe méridional. Pour les uns et les autres, peu importe la qualité des alimens, pourvu qu’ils soient abondans. Le maïs et le blé noir se broient avec une petite meule à main, et de la farine, mêlée avec du lait, on fait une soupe nommée koulia, qui, si elle est préparée au gras, s’appelle kouveliane ; le plus souvent le potage n’est qu’un simple kacha ou gruau d’avoine. Le pain, de forme ovoïde et très mince, appelé pita ou tanka, se cuit sous la cendre, immédiatement avant le repas, dans des vases de terre ou sur des plaques en fonte ; le luxe des fours et des boulangeries n’existe que pour les villes. La viande se rôtit en plein air dans des broches de bois ; toute la vaisselle est également en bois. L’hiver, on n’a que des viandes salées et une espèce de choucroute fermentée dans des tonneaux. La pomme de terre, qui offre tant de ressources pour la mau-