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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

pour détruire l’organisation des spahiliks, et qu’ils y aient à peu près réussi, le sort du raïa n’en est pas allégé. Les spahis, opprimés par le Turc, se vengent brutalement sur le chrétien, qui est réduit à appeler l’Osmanli un bon maître et à l’invoquer contre ces Serbes renégats. De là le proverbe slave : Ne’ ma Tourtchina bez potourtcheniaka, il n’y a pas de Turc (c’est-à-dire de tyran) où ne se trouve pas de chrétien turquisé. Ce sont en effet les descendans des renégats qui exigent avec le plus de rigueur l’accomplissement de toutes les prescriptions vexatoires que l’islamisme fait peser sur les raïas. Ces malheureux ne peuvent avoir d’élégantes demeures, ni de riches habits, ni de belles moustaches, ornement dont le Serbe est si fier. S’ils rencontrent un musulman en voyage, ils doivent descendre de cheval et lui céder le haut de la route, quand même il leur faudrait, pour cela, s’enfoncer jusqu’aux genoux dans la fange. Rarement le spahi est assez bon pour crier au raïa : Iachi, more ! reste à cheval, pauvre diable ! Le cri menaçant de s’iachi, descends de ta monture, est bien plus souvent proféré. Faute de pouvoir les leur arracher, on a laissé à ces paysans leurs armes, et même leurs carabines, mais ils sont tenus de les cacher, en signe de respect, sous leur manteau, au passage d’un musulman. Quand par hasard ils ont affaire aux employés de l’état, ils ne peuvent paraître devant eux qu’à genoux, et doivent rester dans cette posture tout le temps de l’audience ; s’ils les rencontrent dans la rue, ils doivent ou s’enfuir ou se prosterner pour leur baiser le pied.

Les mœurs des Bosniaques sont de la plus grande sévérité. Partout les deux sexes vivent séparés ; à l’église, une cloison sépare la nef des femmes de celle des hommes ; dans un festin, le père de famille ne s’occupe que de ses convives mâles, et laisse sa femme servir à l’extrémité de la table les personnes de son sexe. Une jeune fille ne reçoit jamais en dot un bien-fonds, mais seulement un présent, d’ordinaire peu considérable. Quoique les chrétiens bosniaques soient durs et tyranniques pour leurs femmes, il n’est pas rare de voir dans les villes musulmanes le raïa céder lâchement sa couche au spahi, et souffrir de la part du maître des outrages qu’il punirait de mort impitoyablement, si l’offenseur était un raïa comme lui. D’un autre côté, les spahis, si prompts à outrager les femmes chrétiennes, sont vis-à-vis de leurs propres épouses d’une susceptibilité extrême. L’homme surpris en adultère est pendu ou lapidé sur-le-champ ; l’épouse infidèle meurt d’ordinaire dans d’affreux supplices, et son mari ne pourrait lui sauver la vie quand même il en aurait le désir.