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LITTÉRATURE ANGLAISE.

calviniste à la main, se fait emprisonner, battre, poursuivre ; il persiste, vit dans les bois avec les bandits, dans les cavernes avec les bohémiens, dans les greniers avec les picaros, brave les alcades, fait la nique aux curés, se moque des ministres, se lie avec les Juifs, tend la main aux Arabes, n’est ni assommé ni pendu, ce qui est un grand miracle, et, après avoir accompli le plus curieux roman d’aventures dont puisse s’aviser un contemporain, ce don Quichotte sans écuyer, ce propagandiste sans fanatisme, revient à Londres tout blanc, ridé, vieilli et bronzé. Il se retire quelques mois dans un village solitaire de la côte, y écrit ingénuement son voyage, le publie sans fracas, et obtient le plus beau succès littéraire de la dernière époque. Ses souffrances passionnées, ses plaisirs sauvages, ses hasards de grande route et de chemins de traverse, ont laissé leur vive empreinte dans son style ; on aime cette saveur de réalité, de sincérité, qui émane de toutes les pages, et qui ressemble peu à la fabrication moderne de nos livres.

La narration chevaleresque de ce missionnaire polyglotte, qui a couru l’Espagne pour la convertir au calvinisme, est aujourd’hui « l’étoile de la saison, » comme disent nos voisins. L’amusement abonde dans ses volumes, qui ne sont pas très bien, ou si l’on veut très légalement écrits ; mais le coloris vrai, la vie et la fraîcheur, les souvenirs et les faits, l’emportent sur les formules du style et sur les pastiches de la couleur. Notre missionnaire biblique commet plus d’un crime contre l’acception des anciens mots et les convenances reçues du langage ; mais on le suit si facilement dans ses voyages ! on aime tant à l’accompagner ! Il vous prend en croupe sur sa phrase bondissante et galope avec vous à la cime des sierras. Il est heurté, violent, peu habile en fait de transitions, avare d’épithètes, et peu curieux des agrémens de la phrase. C’est un écrivain de hasard, qui décrit admirablement des hasards.

Les portraits de bandits, de moines, de contrebandiers, de bohémiens et de muletiers, qui ont composé la société habituelle du voyageur, sont dignes de Zurbaran : « À Evora, dit-il, je vis s’approcher de moi un personnage singulier, monté sur son âne, enveloppé de la zamarra rousse en peau de mouton non tannée, portant des culottes de même étoffe et les jambes nues ; il semblait farouche et terrifié. Autour de son vaste sombrero circulait une couronne touffue de romarin. « Les sorcières me poursuivent ! s’écria-t-il en descendant de sa monture, et j’ai eu grand’peine à leur échapper ; voici deux lieues qu’elles crient sur ma tête. Ma femme me suit et elle va