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LITTÉRATURE ANGLAISE.

source unique. Il compare aux filles de fermier de l’Oxfordshire, qui ont maintenant des souliers, des boucles d’oreilles et des chemises, les dames d’honneur d’Élisabeth, qui « s’étendaient jusqu’à midi, disent les Nugæ antiquæ[1], sur des joncs entassés devant le feu, et sans aucun vêtement (disencumbered of all clothing) ; » on était forcé de leur défendre cette récréation passé midi. Il fait valoir, comme l’a déjà tenté le capitaine Hamilton, observateur très ingénieux[2], l’importance des grandes villes pour le progrès des lumières et le perfectionnement des industries. Peut-être n’a-t-il pas apprécié avec assez de sévérité le mauvais côté de la situation. Cette agglomération d’êtres humains, tous ces intérêts pressés, toutes ces cupidités enflammées, tous ces désirs et toutes ces passions accumulées et bouillonnant dans la même cuve, ne produisent pas exclusivement du bonheur et de la vertu ; la défense morale des villes manufacturières ne semble guère concluante malgré l’éloquence statistique de M. Vaughan et de son parti. Un autre philosophe pratique, M. W. C. Taylor, dans ses lettres à l’archevêque de Dublin et dans le voyage récent entrepris pour reconnaître la situation morale des districts manufacturiers de l’Angleterre[3], laisse échapper à ce sujet des aveux fort tristes, à l’appui desquels viennent encore les observations de M. Torrens, économiste distingué[4], et les révélations courageuses de lord Brougham. « À Colne, dit le docteur Taylor, je visitai au hasard quatre-vingts logemens d’ouvriers ; c’était la désolation même. Pas de meubles ; au lieu de chaises, de grosses pierres brutes, et de vieilles malles servant de tables ; des lits de paille sans couverture, ou recouverts par des haillons de tapisserie usée. Ces malheureuses populations vivent d’eau de gruau et d’un peu de lait. Quinze de ces familles ne pouvaient se procurer de lait que tous les trois jours. Je vis une pauvre femme, parvenue au dernier état d’épuisement et nourrissant un enfant qui ne trouvait plus une goutte de lait dans ses mamelles desséchées. Je demandai l’âge de l’enfant ; il avait quinze mois. — Pourquoi il n’était pas sevré ? — La mère n’avait plus d’alimens. Toute cette misère était horrible, mais ce n’était pas la misère du vice. Les enfans étaient en haillons, mais propres. On allait au service divin régulièrement, et les enfans à l’école de deux jours l’un. Personne ne sollicita mes secours. Je me rappellerai toujours

  1. Harrington, p. 62.
  2. Hamilton, On the Progress of society.
  3. Tour through the manufacturing districts, by W. Taylor, LL. D.
  4. A Letter to sir Robert Peel, on the condition of England.