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pagnie est tenue de transporter gratuitement les dépêches et les militaires en service, le matériel militaire, ainsi que les condamnés à moitié prix ; enfin, on lui donne, sous le nom de commissaires royaux, des surveillans qui examineront ses comptes ; on crée des sinécures dont on lui fait payer les frais, et ces frais peuvent s’élever, pour le chemin du Nord, à quarante mille francs par an. 40,000 francs représentent, au taux courant de 4 pour 100, l’intérêt d’un million. Ainsi le gouvernement reprend d’une main ce qu’il donne de l’autre, et le ministre des finances rançonne les associations que subventionne le ministre des travaux publics[1]. La meilleure subvention, la plus économique et la plus digne en pareil cas, ne serait-elle pas l’exemption de l’impôt pendant un certain nombre d’années ? et ne serait-il pas beau d’exécuter les chemins de fer par ce simple procédé qui a déterminé, sous l’empire, la construction d’un des plus beaux quartiers de la capitale, des rues Castiglione et Rivoli ?

La ligne du Nord, qui a 430 kilomètres d’étendue, exigera l’emploi d’environ 53,000 tonnes de rails et de 18,000 tonnes de supports ou coussinets. Or les rails, qui se paient 370 et 380 francs la tonne en France, grace à l’unique monopole de nos maîtres de forges, valent en ce moment 180 à 190 francs dans le pays de Galles, pris à Cardiff. Le droit de douane impose donc à la compagnie une dépense additionnelle de 12 à 13 millions dont elle pourrait diminuer son capital, si l’entrée en franchise des rails et des supports lui était accordée. En outre, l’exemption d’impôt pendant trente ans lui épargnerait une dépense annuelle qui s’élèvera peut-être à 1 million, soit au dixième du revenu brut et au cinquième du revenu net. Pense-t-on que la compagnie eût besoin de la même assistance, si l’on réduisait ses dépenses et si l’on augmentait par conséquent son revenu d’un million ? Ne serait-ce pas comme si l’état lui accordait un secours de 20 millions en capital ?

  1. « Il y a loin de ce mode de procéder à celui que l’Angleterre, la Prusse et les États-Unis suivent en ce moment même. Ouvrez leurs lois de concessions, et vous y verrez, sous toutes les formes, des encouragemens prodigués aux compagnies : exemptions d’impôts pendant un temps limité, liberté de tracés, de pentes, de courbures ; nulle pénalité, nulle déchéance. Le principe de haute protection se trouve, en un mot, partout. En France, il ne se trouve nulle part. Et cependant en France les matériaux de construction, le charbon, le fer, sont d’un prix plus élevé qu’en Belgique, en Angleterre, en Prusse et aux États-Unis. » (M. Daru, Des Chemins de fer et de l’application de la loi du 11 juin 1842.)