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LETTRES SUR LE CLERGÉ.

c’est une question prématurée. — Puis-je me plonger dans les voluptés les plus infâmes que je goûterai en pleine sécurité ? — Même réponse. — Puis-je bouleverser la société pour m’élever sur ses ruines ? Il coulera bien du sang, mais tout me répond du succès… — Question prématurée. — Enfin, dépouillant toute affection de famille, étouffant le cri de la nature, puis-je égorger mon vieux père, dont les jours retardent la félicité des miens ? m’est-il permis de le regarder comme une machine inutile et usée qu’on peut innocemment briser ?… — Eh ! ne l’avez-vous pas entendu ? c’est une question prématurée. »

Je ferais injure à la mémoire de M. Jouffroy ainsi qu’à votre bon sens, monsieur, si je croyais nécessaire de prouver que le savant professeur dont l’Université déplore la perte n’a jamais rien dit, rien écrit qui pût le faire soupçonner de légitimer le vol ou le parricide, et qu’il n’a jamais hésité un instant à flétrir les crimes dont on le fait le soutien. Dans l’écrit qu’on a cité, les mots question prématurée ne s’appliquent qu’à des points fort scabreux de métaphysique. C’est par des inductions injustes et violentes, et par l’emploi d’un procédé qui n’est pas nouveau dans les annales du clergé, que M. l’évêque de Chartres, oubliant que la calomnie est plus qu’un péché, a cru pouvoir lancer contre M. Jouffroy ces accusations, qui seraient abominables, si elles n’avaient le bonheur d’être parfaitement ridicules. Maintenant, doit-on penser que l’auteur de ce mandement ait voulu calomnier M. Jouffroy dans cette circonstance, comme il aurait, au dire de beaucoup de personnes, calomnié ailleurs M. Cousin, en affirmant, avec tout aussi peu de fondement, que le chef de l’éclectisme consacre le suicide, et qu’il a souillé le code entier de la morale[1] ? Nous aimons mieux croire que ce fougueux prélat n’a pas examiné avec tout le calme et toute l’impartialité nécessaires des expressions qui n’étaient pas bien claires pour lui, et que, dans le doute, au lieu de s’abstenir, comme cela aurait été plus prudent, il a choisi l’interprétation la plus défavorable. Chez un membre de l’épiscopat, cette préoccupation a lieu de surprendre, car en supposant qu’il eût oublié les sentimens de charité et de bienveillance dont un chrétien, un prêtre, devrait être toujours pénétré, il ne pouvait ignorer combien les interprétations les plus naturelles en apparence étaient parfois fausses et pernicieuses. Il savait que la Bible elle-

  1. Lettre de M. l’évêque de Chartres sur les doctrines philosophiques de l’Université, insérée dans l’Univers (4 janvier 1843).