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doir des jolies femmes, et les font quêter pour eux[1]. Ils augmentent tous les jours leurs biens, et, dans l’espoir d’accaparer l’instruction publique, ils fondent des établissemens magnifiques. Ils ont dans la presse périodique des organes qui se distinguent par leur violence. Enfin, ils osent avouer leur existence et s’annoncer fièrement !

Ceux qui douteraient encore de la présence des jésuites n’ont qu’à lire les journaux qui s’intitulent religieux ; ils y trouveront à cet égard les aveux les plus complets et les plus naïfs. Autrefois, on niait l’existence de la congrégation ; ceux qui la signalaient au public calomniaient, disait-on, le clergé, et l’on sait combien de démentis, sous la restauration, ont été donnés à cet égard à M. de Montlosier. Maintenant, les règles ont changé : les jésuites marchent la tête haute, ils s’applaudissent de s’être établis de nouveau dans cette France d’où, sous l’ancien régime, on les avait deux fois expulsés. « Des carmes, des franciscains, des capucins (dit un journal[2] qui défend les doctrines ultramontaines et que je devrai citer à plusieurs reprises), il y en a en France, et même des bénédictins, et même des jésuites. Bien mieux, l’année dernière, le Constitutionnel a fait l’éIoge d’un éloquent prédicateur, qu’il ne savait pas être… un révérend père jésuite. »

Hâtons-nous d’ajouter que ce n’est pas là une assertion isolée. La présence des jésuites en France est avouée par toutes les feuilles catholiques, qui répètent à l’envi l’apologie de ces bons pères. Dans un ouvrage très récent, qui résume et appuie leurs doctrines, et sur lequel je reviendrai tout à l’heure, les disciples de saint Ignace sont représentés comme les plus simples, les plus modérés des mortels, ne s’occupant que de la direction des ames et de l’éducation chrétienne, avec défense partout répétée de s’immiscer en quoi que ce soit, par ces différens ministères, dans la direction politique des cours et

  1. Des personnes bien informées affirment que ces quêtes ont produit pendant l’année dernière des sommes très considérables. On parle de plusieurs millions que le clergé se serait procurés de cette manière. Qu’en a-t-il fait ? On ne le sait pas, mais il ne serait pas impossible que ce fussent là des fonds secrets destinés par la congrégation à encourager ses partisans. Quand on sait qu’une association charitable, dirigée par la reine des Français, publie tous les ans le compte-rendu, très détaillé, de ses travaux, on est étonné de voir que le clergé ne songe pas à instruire le public de l’emploi des sommes qu’il reçoit. Un tel silence, contraire à toutes les règles de comptabilité, a déjà refroidi le zèle de plusieurs donateurs.
  2. L’Univers du 7 novembre 1841.