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les carrières civiles, et jusqu’à un certain point pour la vie politique elle-même, ce que la charte a fait pour la magistrature, ce que la loi a fait pour l’armée, c’est là le seul moyen d’asseoir une monarchie sur le sol mobile qui se dérobe sous nos pas. Agir autrement, n’est-ce pas renforcer le roi aux dépens de la royauté même ? n’est-ce pas escompter l’avenir au profit du présent, et préparer au pouvoir le plus périlleux des triomphes en l’isolant au sein de la corruption universelle ?

L’Europe jouit comme la France d’une période de calme qui ne laisse pressentir que de lointains orages. Pendant que l’Angleterre se montre disposée à résoudre à l’amiable les grandes questions de droit maritime qui la séparent de l’Amérique, et peut-être même celle qui la sépare de la France, l’Espagne ouvre ses nouvelles cortès sans voir aucune de ces perturbations qu’il semblait naturel d’attendre. Pas de coup d’état, peut-être même pas de changement de ministère. Le bombardement de Barcelone, l’état de siége de la Catalogne, les mitraillades de Van Halen et les fusillades de Zurbano, tout cela semble devenu soudainement de l’histoire ancienne. À voir l’exaltation des partis et l’exaspération de la presse à la suite de ces terribles évènemens, à en juger par la véhémence des attaques qui étaient loin de s’arrêter devant l’inviolabilité constitutionnelle du régent, on pouvait croire qu’une alternative fatale attendait le général Espartero après les élections, et qu’il était placé entre une mise en accusation et un 18 brumaire. Mais en Espagne, moins encore qu’ailleurs, la logique gouverne les affaires humaines, et les péripéties diverses que traverse ce pays depuis vingt ans sont à décourager les plus hardis faiseurs de conjectures. La seule chose sur laquelle on puisse compter, c’est la persistance du sentiment national et l’antipathie des influences étrangères ; c’est là ce qui peut et doit rassurer relativement au traité de commerce avec l’Angleterre. Difficile comme mesure d’omnipotence militaire, si le régent l’avait tenté après la crise de la Catalogne, il est devenu impossible par les voies légales, en présence de l’opinion et avec le concours des deux chambres. Nous nous refusons d’ailleurs de plus en plus à croire que notre gouvernement, mettant en oubli sur ce point nos constantes traditions diplomatiques, consente à faciliter les négociations de l’Angleterre au-delà des Pyrénées, en associant nos intérêts commerciaux avec les siens. Nous croyons avoir déjà surabondamment démontré par des faits combien serait désastreuse une telle manière de procéder. Il paraît que le traité portugais, dont nous annoncions, voici quinze jours, la conclusion, a rencontré à Lisbonne de nouvelles et sérieuses difficultés. Enfin, dans les dernières discussions du parlement, sir Robert Peel et M. Labouchère ont parlé du traité avec la France comme d’une négociation toujours pendante, mais dont l’issue ne semble pas se rapprocher. On sait notre opinion sur ce point. Sans repousser une telle convention en principe, et tout en en désirant la conclusion, nous la tenons pour l’une des plus grandes épreuves que notre gouvernement puisse traverser. Dès-lors, il est fort légitime que le ministère hésite, et que les leçons du passé